Initiative 99%: le dogme de la mobilité

Bertil Munk •

Depuis des décennies déjà, les fiscalistes de droite ont une question obsessive: ce facteur imposable est-il mobile ou immobile ? Cette division binaire serait élémentaire : d’un côté des personnes ou du capital en capacité de se déplacer où bon leur semble, et de l’autre, d’autres personnes qui elles ne bougent pas, ainsi qu’une consommation qui, presque par essence, est fixe.


Les réformes fiscales récentes, suisses ou autres, ont pour la quasi-totalité d’entre elles, transféré la charge fiscale aux facteurs qui ne pouvaient pas bouger (augmentation d’impôt sur les personnes physiques ou augmentation de la TVA) pour satisfaire ceux qui pouvaient partir.

L’intensification de l’usage de cette division binaire est une conséquence évidente du néolibéralisme. Mais plus précisément l’évolution impressionnante de la technologie ainsi que la libéralisation croissante des marchés mondiaux ont été déterminantes pour asseoir le rôle qu’a cette argumentation. Désormais, ce schéma de pensée est présent excessivement dans les campagnes de votation, devenant la diatribe numéro 1 des opposant·e·s à un projet un tant soit peu gauchisant.

Force est de parier qu’au moment de voter sur la 99 %, nos oreilles siffleront tellement elles auront eu à endurer cela. Écartons cet argument dès maintenant.

En premier lieu, les classes les plus aisées ne sont, malgré les apparences, pas particulièrement enclines à se déplacer en fonction de l’attractivité des systèmes fiscaux. Ce fameux 1% représente bel et bien une élite, mais que partiellement mondialisée. Nous avons au contraire affaire à une élite régionale, voire nationale, qui profite principalement d’une assise locale qu’elle ne souhaite le plus souvent pas brader à tout prix pour des quelconques économies.

Deuxièmement, la Suisse taxe les revenus du capital bien plus faiblement que a) ses voisins directs, et b) la moyenne de l’OCDE. Quand bien même la mobilité internationale des riches serait parfaite et qu’ainsi leur lieu d’habitation ne serait déterminé que par le taux d’imposition, là encore l’initiative 99 % ne pourra qu’amener une justice internationale suffisante face à la situation actuelle honteuse où la Suisse agit comme locomotive dans la course vers le moins-disant fiscal.

Cependant, ce n’est pas pour autant que la mobilité du capital doit être une notion à envoyer aux oubliettes. Pour la gauche cela demeure un problème préoccupant. Au risque d’enfoncer des portes ouvertes, le capital recherche des perspectives de profit au taux de rendement le plus haut possible. La stabilité de l’endroit où il est investi, et surtout administré est une variable déterminante, mais son but est aussi de profiter de places où il a les mains les moins liées possible, où les contraintes liées à la rémunération du travail et à sa contribution à la société sont les moins opérantes possible. C’est d’ailleurs pour cela que sa mobilité a été fortement limitée pendant les trente glorieuses: pour que la fourchette des choix politiques possibles ne soit pas restreinte outre mesure par le chantage à la délocalisation. Cela a permis des politiques de redistribution ambitieuses. Mais depuis lors, ce n’est plus le cas, et lorsque le capital peut décider librement de ses mouvements, les choix démocratiques se voient cantonnés entre blanc bonnet et bonnet blanc, particulièrement pour ce qui est de la politique économique.

Un exemple: le tournant de la rigueur de 1983 par François Mitterrand. Des causes plurielles peuvent être identifiées, mais la fuite des capitaux n’est pas à minimiser. Rien que le jour après son élection, l’indice du CAC40 avait chuté de 13.8 %. La Suisse, et particulièrement la place financière genevoise, avait bénéficié de cette mise en application du chantage du capital.

L’initiative 99 % ne peut changer le système que partiellement, et ne met en péril malheureusement que très modérément la prospérité du capital. Ce qu’elle peut par contre amener, en plus d’une justice sociale améliorée, est de préparer un terrain plus propice pour la conquête du pouvoir par une gauche combative dans un futur pas tant éloigné que cela. Dans cette perspective, la limitation de la mobilité deviendrait une étape nécessaire pour la réussite d’une transformation sociale et écologique de notre société.

Cet article a été publié dans Pages de gauche n° 171 (printemps 2019).

Crédits image: Austin Distel sur Unsplash.

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