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Présidence de l’USS : entretien avec Pierre-Yves Maillard

N’est-il pas temps qu’une femme occupe la présidence de l’USS ?

J’aurais tout à fait compris un choix de principe en ce sens de la part de l’USS. J’ai d’ailleurs posé la question lorsque la commission de sélection m’a contacté, mais elle m’a dit que l’élection était ouverte à un homme comme à une femme. Des femmes fortes et représentatives sont d’ailleurs présentes à la tête de l’USS, comme Vania Alleva, vice-présidente et présidente d’Unia et Katarina Prelicz-Huber, présidente du SSP. Par ailleurs, j’aimerais dire que si le débat sur la représentation féminine est légitime, des hommes peuvent et doivent aussi porter des revendications féministes. Je l’ai, je crois, démontré dans mon action au Conseil d’État vaudois, avec les PC familles (qui aident notamment les femmes seules avec enfants), la révision de l’approche sur les violences domestiques, ou en nommant trois femmes sur les cinq chef·fe·s de service de mon département.

En 2011, tu nous disais être un Girondin (Pages de gauche n° 97), attaché à l’action politique dans les cantons. Serais-tu devenu un Jacobin, tenté par la politique nationale ?

Après 14 ans, mon temps au Conseil d’État devra bien un jour prendre fin… Lorsque cette opportunité de la présidence de l’USS m’a été présentée, j’ai décidé de me lancer, après un temps de réflexion cet été. L’intérêt du niveau cantonal, c’est de pouvoir tester des projets avec des majorités parfois plus faciles à rassembler. Au niveau fédéral, il faut donc partir des expériences cantonales pour porter des projets plus loin. En ce sens, je reste un Girondin !

Comment vois-tu un double engagement de parlementaire fédéral et de président de l’USS ?

C’est une relation à laquelle il faut réfléchir. Pour moi elle ne va pas de soi, mais c’est une demande des fédérations syndicales. D’autre part, le lien entre le PS et les syndicats est important, et je me suis toujours battu en ce sens, mais ça doit se faire sans mise sous tutelle. Chacune des forces doit avoir son autonomie. Les militant·e·s brésiliens parlaient de la relation entre le PT et la CUT (faîtière des syndicats) au Brésil comme d’une « articulacion », c’est-à-dire de deux pièces indépendantes et de même rang, mais avec un point de contact entre elles pour transmettre le mouvement.

Quel lien avec la base peut-on construire dans une telle fonction ?

Si je suis élu à la tête de l’USS, je n’aurai pas d’autre métier. Entre les sessions parlementaires, si je suis élu au Conseil national, j’aurai donc du temps. Je m’efforcerai de cultiver le contact avec la base, de me rapprocher de la réalité que j’ai connue lors mon travail de secrétaire syndical à la FTMH. Je vois un autre lien à tisser avec la base. Pour être fort au niveau national, le mouvement syndical doit être fort sur les lieux de travail. Cela signifie qu’il faut des syndicats qui assurent une croissance ou au moins une stabilité de leurs membres, et ceci doit constituer un objectif principal de l’USS. Mes expériences de secrétaire syndical m’ont montré que pour faciliter le recrutement sur le terrain, il faut montrer des résultats concrets. L’USS peut aider à ce processus en définissant soigneusement et démocratiquement des objectifs atteignables qui fédèrent tous les syndicats. Il faut de l’utopie et des débats de fond, mais il faut aussi et surtout réaliser le possible ! Y compris avec des initiatives populaires qui peuvent et doivent être gagnées.

Le parlement discute du projet RFFA, héritier de la défunte RIE3. Comment te positionnes-tu sur le sujet alors que tu as piloté la mise en oeuvre anticipée de cette réforme dans le canton de Vaud ?

L’un des problèmes majeurs de ces dernières décennies pour les salarié·e·s, c’est la stagnation ou la régression des revenus disponibles. Avec la RIE3 vaudoise, nous voulions négocier des avancées concrètes dans ce domaine. Le résultat, c’est que, dès les prochains mois, les primes de l’assurance maladie vont baisser pour 75’000 personnes à revenu moyen inférieur. Au niveau fédéral, la victoire de l’an passé contre la RIE3 a permis de conquérir maintenant une avancée unique pour l’AVS avec un projet qui majore les recettes de 5 à 7 % sans baisse de prestation. Mais le débat national sur la RIE3 a pu faire oublier que c’est dans les cantons que se mène la bataille pour la substance fiscale et les avancées sociales à obtenir. C’est à ce niveau-là que les combats devaient être menés pour enfin avancer sur des revendications sociales fortes. La proposition du Conseil des États vise à supprimer les statuts fiscaux spéciaux, à redonner 1 milliard de francs aux cantons, et 2 milliards à l’AVS. Je ne connais aucun projet, ni en Suisse ni ailleurs en Europe, qui assainisse les retraites uniquement avec de nouvelles recettes. Ce paquet est positif, il n’y a aucune raison de l’attaquer dans la situation actuelle.

L’USS est composée d’une multitude de syndicats avec des objectifs parfois différents. On peut songer par exemple au débat entre loi et CCT. Comment arbitrerais-tu entre ces positions ?

Ce débat me semble moins vif aujourd’hui qu’il ne l’a été par le passé. Le Syndicat des services publics signe désormais des CCT, et Unia s’était ralliée à l’idée d’un salaire minimum national pour toutes les branches. Ce qu’il faut désormais, c’est fédérer l’ensemble des syndicats autour de revendications accessibles. Comme je l’ai dit, l’érosion des salaires est un problème qui touche tou·te·s les salarié·e·s. Elle n’a été compensée que par l’entrée massive des femmes sur le marché du travail. Nous pouvons agir par des mesures de politique sociale comme l’amélioration des allocations familiales ou le plafonnement du poids des primes LAMal par les subsides, comme nous l’avons fait sur Vaud. Mais nous ne devons pas renoncer à nous battre sur le niveau des salaires eux-mêmes. J’aurais deux propositions à cet égard, qui nécessiteraient le lancement d’initiatives populaires : la généralisation du 13e salaire à tou·te·s les salarié·e·s, et un contrôle public des infractions à la loi sur l’égalité salariale entre hommes et femmes. Ces propositions demandent précisément l’aide de la loi, car des CCT ne peuvent suffire à les mettre en œuvre.

Propos recueillis le 10 septembre 2018 par Arnaud Thièry.


Entretien publié dans le n° 169 de Pages de gauche (automne 2018).

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