Élections vaudoises: tirer les leçons du second tour

La rédaction •

En politique, s’il n’existe pas de lois, on peut néanmoins tirer des leçons de situations qui se répètent. Cela fait des années que nous mettons en garde contre une majorité de gauche au Conseil d’État qui ne dispose pas d’une pareille majorité au Grand Conseil. Cette situation ne peut être que temporaire. Soit elle prépare la conquête d’une majorité au parlement, soit elle conduit à une défaite cinglante. C’est le second scénario qui s’est réalisé ce dimanche 10 avril dans le canton de Vaud, et c’était de loin le plus probable.

Majorités de gauche et de droite

Un gouvernement de gauche sans majorité parlementaire ne dispose que de faibles moyens pour gagner cette dernière. Toutes les avancées qu’il peut obtenir ne le sont qu’avec l’assentiment de la droite, qui en tirera donc elle aussi les bénéfices politiques tout en s’assurant, évidemment, que lesdites avancées seront aussi modestes que possible (ou, en d’autres termes, que ce seront des politiques qui conviendront à son propre électorat). Toutes les propositions résolument à gauche seront immanquablement défaites au parlement, renforçant derechef la majorité de droite du parlement.

Ne reste donc que l’activité relevant uniquement de la majorité gouvernementale qui, pour n’être pas négligeable (quantité de dossiers restent de la seule responsabilité des départements ou du collège, sans compter que ce dernier doit aussi bloquer très régulièrement des propositions concoctées par sa minorité de droite, sous pression des différents lobbies qui la financent), ne permet pas de mettre en œuvre des réformes ambitieuses.

Admettre que la situation n’est que temporaire, pour une gauche majoritaire au Conseil d’État, ne peut que se traduire par une politique de la tension avec la droite. Cela aurait dû conduire à proposer des textes qui auraient été refusés par le Grand Conseil, afin de clarifier les camps politiques. Autrement dit : cinq ans de guerre de tranchées pour espérer obtenir une victoire aux élections suivantes. Or c’est tout l’inverse que la décennie de majorité gouvernementale vaudoise socialiste et verte a produit. Le terme même de « compromis dynamique » inventé pour qualifier cette politique le dit bien : il s’agissait de gouverner avec la droite, donc de faire une politique de droite en obtenant quelques avancées modestes (les PC familles par exemple) tout en avalant des couleuvres (l’interdiction de la mendicité, entre autres) et en sauvant quelques meubles (le fait que le CHUV soit toujours un hôpital public). Le symbole de cette politique inepte a bien sûr été la forfaiture de la RIE III vaudoise, cadeau insensé aux plus grosses entreprises du canton réclamé à cor et à cri par la droite depuis des années, et que même l’OCDE critique désormais.

La facture de cette politique faite en dernier ressort par la droite se paie au prix fort aujourd’hui, sans surprise. Si l’élection avait été gagnée aujourd’hui sans être suivie d’un changement significatif de politique, la défaite n’aurait qu’été repoussée à 2027. Que l’alliance de gauche se soit présentée à cette élection sans programme lisible et qu’il ait fallu en toute hâte en bricoler un après le premier tour n’a évidemment pas contribué à ce que les choses se passent différemment ce 10 avril.

Le département miné

S’ajoute à cela un problème lié à la candidate du PSV en charge du département toujours piégé de la formation, Cesla Amarelle. Les quelque 15’000 voix de retard qu’elle accuse sur ses colistières socialistes montrent bien qu’elle a été tracée sur les bulletins de vote par un nombre important de personnes et qu’il s’agit aussi d’une sanction personnelle. La droite l’avait identifiée comme maillon faible et ne s’est pas gênée pour l’attaquer, y compris de manière scandaleuse dans les semaines qui ont précédé le premier tour (par exemple en montant en épingle, avec la complicité du journal 24 Heures qui confirme là sa chute morale, une plainte déposée contre elle par un enseignant licencié pour faute grave[1]).

Il n’en demeure pas moins qu’une politique fondée sur le mépris des organisations syndicales, sur des attaques répétées contre les enseignant·e·s ou sur une extrême lenteur dans d’autres dossiers, comme celui du harcèlement à l’Université de Lausanne, avait peu de chances de rallier à elle l’électorat traditionnel du Parti socialiste, composé pour partie de ces enseignant·e·s que la cheffe de département s’est ingéniée à dénigrer depuis le début de son mandat. En politique, les actes et les paroles ont des conséquences.

Ajoutons que si sa collègue Rebecca Ruiz n’a pas connu le même sort, ce n’est pas qu’elle se serait montrée plus favorable aux revendications syndicales, au contraire. Il faut sans doute plutôt aller chercher l’explication dans le fait qu’une proportion significative des personnes qui ont dû subir sa politique n’ont pas le droit de vote ou ne l’exercent pas, contrairement aux enseignant·e·s. L’extrême médiatisation due à la pandémie de Covid ne doit en outre pas être oubliée.

La question des élections

L’arrivée au pouvoir d’une représentante d’un parti microscopique au niveau cantonal et qui ne dispose pas d’un·e seul·e élu·e au Grand Conseil montre que le système d’élection du Conseil d’État pose quelques problèmes. Plus généralement, cela rappelle que l’élection au scrutin direct des gouvernements est une procédure qui entrave davantage la démocratie qu’elle ne la renforce.

En favorisant le césarisme, en transformant les partis politiques en machines de guerre obsédées par la réélection du tribun du jour, en personnalisant à outrance la vie politique, en prétendant que les individus seraient plus importants que les partis et les collectifs, ces élections ont des conséquences détestables pour la vie démocratique des collectivités qui y sont régulièrement convoquées.

Rappelons que l’élection des gouvernements au scrutin direct est rare, qu’elle n’existe pas au niveau fédéral, qu’elle n’existait pas dans les cantons jusqu’à la fin du XIXe siècle, et qu’elle n’est utilisée dans aucun des pays d’Europe de l’Ouest. La France fait exception à cet égard, avec les conséquences catastrophiques qu’on y observe et qui se vérifieront une fois de plus ce dimanche soir.

Ici encore, la focalisation sur l’élection du Conseil d’État au détriment du Grand Conseil montre que ce système électoral conduit la gauche dans une impasse, alors qu’elle devrait se concentrer sur ses résultats au parlement.

Quelques raisons d’être optimistes

Ce dimanche a tout de même montré, avec l’élimination de Michaël Buffat, manifestement biffé sur de très nombreux bulletins, que l’alliance de la droite avec l’extrême droite n’est pas passée. On peut s’en réjouir, mais tout en ne cachant pas une certaine inquiétude devant les accolades répétées de cette droite qu’on croyait raisonnable avec une UDC de plus en plus terrifiante dans ses prises de position (qu’il s’agisse de l’Ukraine aujourd’hui ou de la gestion du Covid hier).

Pour conclure sur le terrain des luttes sociales, le seul qui compte véritablement à gauche, les cinq ans qui s’annoncent seront agités et demanderont de la part des syndicats, des associations et des partis de gauche vaudois un engagement redoublé. Les défaites seront plus nombreuses, et nous ne pouvons donc nous en réjouir, mais nous saurons au moins et sans aucune ambiguïté contre qui nous nous battons. Il faut s’y préparer dès aujourd’hui, et viser, enfin, une double majorité en 2027.


[1] Il se trouve que Pages de gauche partage cet honneur d’avoir été attaqué par ce personnage [voir notre n° 180].

antoine_chollet