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Du bon usage du référendum

Léo Tinguely •

Lors de sa retentissante occupation de la place Fédérale aux côtés d’Extinction Rebellion à la fin septembre dernier, la Grève du Climat démontrait une politisation de son discours et de son répertoire d’actions. La voilà en effet désormais au centre des débats parlementaires. En s’engageant pour le référendum contre la loi CO2, les millitant·e·s de ses sections romandes (à l’exception de Fribourg) semblent faire un pas de plus dans cette direction. Mais si la désobéissance civile peut apparaître comme nécessaire et efficace, ce référendum nous paraît aussi vain que contre-productif, et laisse de surcroît entrevoir une fracture possible au sein de la coalition pour le climat.

La loi CO2

En guise de rappel, voilà près de trois ans que les élu·e·s fédérales·aux planchent sur ce projet. En 2018, un premier texte complètement vidé de sa substance par la droite avait été refusé avant que la loi ne renaisse de ses cendres et qu’une nouvelle mouture soit acceptée par les chambres. Concrètement, le projet est censé parvenir à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 50% d’ici 2030, et vise à atteindre la neutralité carbone en 2050. Pour ce faire, la loi introduit des taxes de 10 à 12 centimes sur le litre de carburant, de 30 à 120 francs sur les billets d’avion et de 500 à 3000 francs sur les vols de jets privés. En parallèle, les normes d’émissions en matière d’importation de véhicules se voient revues à la hausse. La majeure partie des recettes engendrées par ces nouvelles mesures seront allouées à la création d’un fonds pour le climat ou redistribuées à la population sous forme de ristourne de primes d’assurance-maladie.

Un référendum objectivement et stratégiquement mauvais

Que la loi laisse un goût amer aux grévistes du climat est parfaitement compréhensible. Vendue à de nombreuses reprises (en premier lieu par la gauche) comme la réponse à leur vaste mobilisation et surtout à la question climatique, la loi n’en fait évidemment pas assez. Elle persiste à faire reposer la responsabilité de la transition écologique sur l’individu et laisse libres de toute contrainte une économie et une place financière responsables de 22 fois plus d’émissions que le reste du pays1. Cette loi mérite donc à raison de vives critiques. Cependant, l’affronter en référendum relève au mieux de la naïveté, au pire de la bêtise.  

Objectivement d’abord, la loi ne comprend pas de réel retour en arrière, de régression sociale ou environnementale. N’en déplaise aux grévistes, il est difficile de parler de loi antisociale lorsque l’argent des bourgeois finit par être redistribué à l’ensemble de la population. Elle représente une avancée, insuffisante certes, mais qui n’en demeure pas moins une amélioration par rapport à la situation actuelle.

Stratégiquement ensuite, il est évident que la Grève du Climat ne possède pas les moyens de lutter face aux millions de l’UDC, et il y a fort à parier qu’en cas de référendum victorieux, les arguments climatosceptiques aient un impact bien plus fort que l’engagement des grévistes romand·e·s. La place pour un « non » de gauche n’existe tout simplement pas.

Il convient également de rappeler que la réponse aux crises climatiques et environnementales ne repose pas sur cette loi et qu’une nouvelle version (qui ne verrait d’ailleurs probablement pas le jour avant trois ans), quelles qu’en soient les améliorations par rapport au texte actuel, n’en constituera pas davantage une réponse. Les référendums et initiatives demeurent des outils démocratiques à utiliser stratégiquement, qui peuvent se retourner contre celles et ceux qui les lancent. Au lieu d’engager temps, énergie et moyens financiers pour attaquer des acquis, il aurait été bien plus judicieux de repartir à l’offensive et d’activer d’autres leviers d’actions, en agissant par exemple pour l’abrogation, la modification ou la création d’autres lois.

Une fracture au sein de la coalition pour le climat

Un autogoal ou une balle dans le pied, il est donc difficile de ne pas s’accorder sur les expressions avec lesquelles la gauche institutionnelle (le PS et Les Verts) a fustigé l’annonce du référendum. Il faut dire que nombre d’élu·e·s, socialistes en tête, ont vu rouge. Des socialistes qui, au passage, auraient bien été inspirés de ne pas commenter la décision et de laisser, pour une fois, les Vert·e·s seul·e·s s’attirer les foudres du mouvement. Car le positionnement de la gauche doit être clair : cette loi n’est qu’un premier pas qui reste insuffisant. À l’inverse, on a assisté à d’insupportables scènes d’autocongratulation où l’on n’a pas hésité à se lâcher sur une Grève du Climat à qui l’on doit pourtant beaucoup. De cette histoire, on retiendra donc aussi qu’il est bien plus facile de reprendre les reproches faits à la majorité bourgeoise que d’entendre et d’écouter les critiques à son encontre.

Voilà quelque temps que la rumeur d’un possible référendum enflait. Ni une, ni deux, il n’aura pas fallu attendre plus longtemps pour voir le mouvement « Solidarités » se greffer sur le référendum, par conviction ou par opportunisme, probablement un peu des deux. Il n’en demeure pas moins que la droite ne manquera pas l’occasion de moquer une gauche divisée.

Dans le camp du climat, une réconciliation n’est pas seulement souhaitable, elle est absolument nécessaire.

De réelles divisions, on en retrouve à l’interne de la Grève du Climat où les sections romandes (à l’exception de celle de Fribourg) font cavalier seul sur ce référendum. Ce Röstigraben fera davantage le jeu de l’UDC que celui du mouvement, qui fait déjà face à une dynamique de recul de ses millitant·e·s (due en partie à l’émergence d’Extinction Rebellion, à la crise du COVID et à l’évolution de son répertoire d’actions) et à de vastes débats concernant le caractère démocratique de ses prises de décision. Dans le camp du climat, une réconciliation n’est pas seulement souhaitable, elle est absolument nécessaire. Nous le disons également dans l’éditorial de notre prochain numéro (Pages de gauche n° 177) : seule une large coalition se montrera à même de construire un rapport de force capable de faire plier la droite et le patronat, et d’imposer les solutions d’envergure nécessaires face aux défis environnementaux auxquels nous sommes confrontés.


[1] Source : https://www.alliance-climatique.ch/bns (Klima Alianz Schweiz. Klima-Masterplan Schweiz : Umsetzung des Paris Abkommen, Teilbericht zur Reduktion von Treibhausgasen und Auswir- kungen des Klimawandels im Ausland, 2016, p. 17).

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