Dix ans après Fukushima: la catastrophe n’est pas à venir, elle a déjà lieu…

Line Rouyet •

Dix ans après Fukushima, la rédaction de Pages de gauche republie un article qu’elle avait consacré à l’évènement au moment des faits en avril 2011. Le risque d’une nouvelle catastrophe nucléaire n’est aujourd’hui toujours pas écarté.


Le 11 mars 2011, le séisme de magnitude 8.9 qui s’est produit au large des côtes japonaises a provoqué un tsunami destructeur faisant plus de 26’000 victimes selon les dernières estimations. À côté de cette catastrophe aux conséquences humaines rarement égalées dans l’histoire nippone, il y a l’accident nucléaire de la centrale de Fukushima, causé par des dommages sur plusieurs de ses réacteurs nucléaires. Si l’impact de cet événement est encore difficile à estimer en raison de la méconnaissance de ce risque ainsi que du manque d’informations fiables de la part des responsables de la Tokyo Electric Power Compagny (TEPCO) et du gouvernement, il s’agit déjà incontestablement d’une des catastrophes nucléaires les plus importantes de l’histoire.

L’atome remplace le séisme

Cette succession d’événements a contribué à faire passer sur le devant de la scène médiatique et politique la problématique du nucléaire, au détriment de l’événement sismique et du tsunami qui en a résulté. Comment expliquer ce retournement de situation?

Tout d’abord, le risque sismique est bien connu, intégré et dans une certaine mesure accepté dans la société japonaise. La prévention des catastrophes, tant par des moyens techniques que par des simulations régulières de situations d’urgence et des formations sur le comportement à adopter en cas de danger, font du Japon une des sociétés les mieux informées sur le danger sismique.

Au contraire, la problématique du nucléaire est peu connue de la population japonaise, ce qui laisse aujourd’hui les Japonais·es dans l’incertitude face à une menace difficile à estimer. À cause d’intérêts économiques et politiques, les risques ont été passés sous silence, voire étouffés. Pour ces mêmes raisons, le Japon est devenu peu à peu le troisième producteur mondial d’énergie d’origine nucléaire alors même que la population était très hostile à cette solution, en raison notamment des bombardements atomiques américains en 1945.

Réactiver le débat sur le nucléaire

Mais si la catastrophe nucléaire de Fukushima a un écho si important en Europe, c’est aussi parce qu’elle a remis sur le devant de la scène le fameux débat de l’énergie atomique. Bien que les images de catastrophes naturelles de l’ampleur de Haïti ou du Japon soient incroyablement puissantes émotionnellement, voire tristement fascinantes, la population suit ces événements tel un spectacle irréel et apocalyptique éloigné de leur réalité. À ses yeux, la problématique du nucléaire semble bien plus concrète.

Il est donc facile d’expliquer que la catastrophe nucléaire ait petit à petit supplanté celle du séisme et du tsunami, et que l’information concernant la situation japonaise ait peu à peu été remplacée par celle concernant le nucléaire en Suisse. Certes, le débat sur le nucléaire a plus que tout sa raison d’être, il est essentiel de mettre en avant les alternatives possibles, de remettre en cause nos habitudes en matière de consommation d’énergie. La catastrophe de Fukushima est une bonne occasion de le réactiver auprès de populations qui, lentement, en étaient venues à ne plus considérer sérieusement la dangerosité de l’énergie nucléaire. Mais qu’est-ce que tout cela prouve? Qu’en dehors de nos préoccupations helvético-helvétiques (le nuage va-t-il passer au dessus ma maison? Mon abri PC est-il adapté et sûr? Quel impact aura pour la Suisse la crise économique japonaise?), peu de choses importent!

La crise humaine, alimentaire, de l’eau, la problématique de l’organisation des secours, la critique des Japonais·es face à
la gestion gouvernementale et la crise politique qui pourrait en découler sont-ils vraiment si anodins? Si l’on en croit l’évolution médiatique et politique de la problématique, oui, malheureusement…

Crédit image : Non nommé par « hiro_522 » sous licence CC BY-ND 2.0.

Cet article a été publié dans Pages de gauche n° 98 (avril 2011).

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