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Comment gagner une initiative?

La rédaction •

Les résultats des votations fédérales du 29 novembre ont déçu de nombreuses·eux militant·e·s, et on peut l’être en effet à la vue des 1,3 millions de citoyen·ne·s ayant accepté l’initiative pour des multinationales responsables (50,7% des voix), laquelle est rejetée à cause d’une majorité des cantons (ne représentant que 42% de la population totale de la Suisse). On peut bien sûr maugréer contre le fédéralisme, maudire les Suisses-alémaniques, les Waldstätten, regretter que le général Dufour ne les ait pas éradiqués pendant la guerre du Sonderbund, ou, sur un autre plan, dénoncer les sommes colossales investies par le patronat pour courber le corps civique, mais le problème doit plutôt être posé sur un autre plan.

Tout d’abord, obtenir plus de 50% des voix pour une initiative de gauche est un exploit et un événement exceptionnel, qu’il faut saluer comme il le mérite. La campagne a été admirablement bien menée, sur le long terme comme sur les dernières semaines. Elle a dû faire face de plus à une armada extrêmement fortunée (bien qu’on ne saura jamais combien economiesuisse aura dépensé pour combattre l’initiative puisqu’elle refuse toujours de rendre publiques ses dépenses de campagne). Et le Röstigraben paresseusement invoqué dans certains commentaires n’explique pas grand chose, comme d’habitude. En plus des cantons de Bâle-Ville, Berne et Zurich, les principales villes suisses-alémaniques ont été conquises. La coalition d’organisations qui a lancé l’initiative a montré comment procéder pour les futurs textes lancés par la gauche. Cela suppose, il faut aussi le relever, d’en limiter le nombre, compte tenu de l’important travail militant qu’une telle campagne demande.

En comparaison, la seconde initiative, celle du GSsA sur le financement de l’industrie d’armement, a obtenu un score moins ébouriffant, mais qui peut toutefois nous réjouir. Plus de 42% d’avis favorables et quatre cantons qui l’acceptent, cela représente également un succès très important. Ici aussi, la campagne a été efficace, et a sans doute bénéficié de l’appel d’air de celle concernant les multinationales (les sujets étant liés entre eux, au moins au niveau politique).

Doit-on dès lors conclure que la gauche ne peut pas gagner d’initiatives au niveau fédéral? Certes non, même s’il faut rappeler que les défaites honorables – et celle de dimanche passé en a incontestablement été une – sont toujours des demi-victoires par les effets qu’elles provoquent dans les années suivant le vote. Il faudrait cependant aussi réfléchir à l’outil lui-même. Certain·e·s proposent de se débarrasser de la double majorité pour les initiatives populaires. C’est oublier un détail qui a son importance: les initiatives modifient la constitution et demandent de ce fait une modalité d’acceptation qui soit plus contraignante que celle nécessaire pour voter des textes d’un niveau normatif moins élevé. C’est un principe cardinal dans tous les États de droit: la constitution se modifie plus difficilement que les simples lois. Supprimer la double majorité devrait donc s’accompagner, au choix, d’une augmentation du pourcentage de «oui» nécessaire (ce que l’on appelle une majorité qualifiée), ou d’un double vote, ou d’un avis conforme du parlement, ou d’une autre modalité à inventer. Dans tous les cas, la difficulté de faire passer une initiative de gauche ne serait guère réduite.

Il existe pourtant un outil déjà existant qui permet d’éviter à la fois la majorité des cantons et un vote du Conseil des États: le référendum facultatif. On sait qu’il n’est qu’abrogatif pour le moment, mais une version propositionnelle a déjà souvent été discutée, notamment par Pages de gauche, et elle prendrait la forme de l’initiative législative[1]. Elle permettrait à un nombre donné de citoyen·ne·s de demander l’adoption d’une nouvelle loi ou l’amendement d’une loi existante par le corps civique, et ce vote, de la même manière que les référendums, ne serait soumis qu’à la majorité populaire. Cet outil n’est pas une chimère; il existe déjà dans tous les cantons. Son intégration à l’arsenal des droits populaires au niveau fédéral doit donc devenir une priorité à gauche!


[1] On pourra lire notamment «Relançons l’idée d’une initiative législative fédérale», Pages de gauche n° 137 (octobre 2014).

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