Claudia Andujar: trajectoire d’une photographe politique

Antoine Chollet •

L’exposition La lutte Yanomami consacrée à l’œuvre de Claudia Andujar débutant le 23 octobre 2021 au Fotomuseum de Winterthur, Pages de gauche publie en libre accès son compte rendu de cette dernière.


C’est le parcours tout à fait extraordinaire d’une native de Neuchâtel, fille d’un Juif hongrois déporté à Auschwitz, qui s’installe à New York, s’initie à la peinture, avant de partir au Brésil où elle commence à faire de la photographie, notamment lors de longs séjours chez les Yanomami. Elle y fera plusieurs séjours dans les années 1970 et 1980, dont elle ramènera de nombreux clichés. Cette femme, c’est Claudia Andujar, à laquelle la Fondation Cartier à Paris a consacré une magnifique exposition l’hiver dernier. L’occasion est offerte de la visiter en Suisse, puisqu’elle va bientôt faire halte au Fotomuseum de Winterthour, après être passée à Paris, Milan et Barcelone.

Le travail de Claudia Andujar chez les Yanomami, d’abord principalement photographique, a rapidement pris un tour politique avec la lutte contre la construction de la «perimetral norte», un projet d’extension de la Transamazonienne qui devait traverser leurs territoires, lancé par la dictature brésilienne dans les années 1970 et destinée à faciliter l’exploitation des ressources naturelles de la région.

Le travail photographique d’Andujar est divers. C’est aussi bien une présentation ethnographique (notamment des habitats et des rituels des Yanomami), la poursuite de recherches esthétiques proprement photographiques (avec des transformations des optiques et de la pellicule, l’usage de filtres, etc.) et un parti-pris politique explicite. Un regard trop rapide sur ses tirages pourrait conduire à penser qu’ils ne sont qu’une lamentation sur un monde «naturel» perdu, lieu commun des voyages en Amazonie et du mythe des dernières tribus «sauvages». Or Claudia Andujar n’alimente pas cet exotisme de pacotille. On peut le voir par exemple dans une très impressionnante série de clichés réalisés lors d’une campagne de vaccination à laquelle elle a pris part, et lors de laquelle elle photographie les personnes inoculées une à une, soigneusement numérotées par les services sanitaires. Ici aussi, la photographie documentaire se lie à un travail d’une très grande beauté. Elle témoigne aussi de cette posture par son propre travail, à la fois photographique et militant. Les Yanomami ne sont pas hors du monde, là où certain·e·s souhaiteraient les laisser, mais ils et elles en font pleinement partie, ce qui justifie les campagnes de défense de leurs territoires menées, notamment, auprès des Nations Unies.

Bien que les clichés exposés datent pour l’essentiel des années 1970 et 1980, cette exposition offre une résonance inquiétante avec l’actualité immédiate, puisque l’un des adversaires les plus actifs des droits des peuples indigènes au Brésil n’est autre que Jair Bolsonaro, l’actuel président du pays, qui souhaite revenir sur la détermination du territoire Yanomami et en réduire l’étendue.

À voir: Claudia Andujar, La lutte Yanomami, Fotomuseum Winterthur, du 23 octobre 2021 au 13 février 2022.

Cet article a été publié dans Pages de gauche n° 181 (automne 2021).

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