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Australie, lucky country?

L’image d’une Australie heureuse et juste, promue par le pays, colle mal avec la réalité de sa politique migratoire.

C’est le paradoxe australien: comment un pays qui a bâti sa richesse et sa prospérité grâce aux immigrant-e-s, à commencer par les Anglais-e-s (qui ont confisqué les terres et oppressé les indigènes), peut-il être résolument contre les quelque dix mille réfugié-e-s qui arrivent par bateau chaque année? Réfléchir sur un tel dilemme et examiner la construction de la nation australienne permet de relativiser de façon alarmante l’image d’une Australie juste et chanceuse promue tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.

La politique de «l’Australie blanche» résonne encore dans la mémoire contemporaine. C’était une politique mise en œuvre lors de la constitution de l’Etat fédéral australien, dès 1901, qui privilégiait les Anglais-e-s blanc-he-s et donnait droit au Commonwealth d’expulser, par la force si besoin, les Chinois-e-s et les personnes originaires des îles du Pacifique. Cette politique est restée active jusqu’en 1973, encourageant cette tension entre la nécessité raciste d’exclure l’autre et le besoin d’une immigration pour soutenir la croissance économique, favorisant de fait une immigration blanche.

Bien que cette politique ait été abandonnée, l’inconscient raciste subsiste. Il a été réveillé notamment par Pauline Hanson, une politicienne qui gagne un siège au parlement fédéral du Queensland, au milieu des années 1990. Elle développe une rhétorique fasciste, basée sur le fait que les problèmes de l’Australie sont causés par les migrant-e-s, qu’elle associe à des «glandeurs au chômage» et à tout ce qui va mal dans la société australienne. Sans surprise, Hanson réveille dans les consciences une croyance partagée par beaucoup. A ce moment-là, son parti politique, le parti «Une Nation» (One Nation Party), obtient dans certaines parties de l’Australie environ 20% des votes. Avec la chute de Hanson au milieu des années 2000, les travaillistes et le Parti libéral se battent pour récupérer ses voix. Ces deux partis ont donc surenchéri dans l’usage des réfugié-e-s comme boucs-émissaires.

Le gouvernement libéral d’Howard (1996-2007) n’a pas déçu sur ce point, puisqu’il a introduit des politiques centrées sur la dissuasion, c’est-à-dire que les conditions d’accueil rencontrées par les réfugié-e-s en Australie devaient être plus terribles que celles qu’ils fuyaient. Cela a inclus l’ouverture de centres de détention à Nauru et dans les îles Christmas, détention obligatoire pour les adultes et les enfants arrivés par bateau, longue attente de traitement des cas et visa temporaire (même si le statut de réfugié-e-s est accordé, il reste temporaire et exclut tout regroupement familial).

Les gouvernements travaillistes successifs de Rudd et Gillard (2007-2013) n’ont pas remis en cause cette politique. Désormais, avec le retour d’un gouvernement libéral dirigé par le premier ministre Tony Abbott, la situation a encore empiré, avec l’engagement des militaires pour repousser les embarcations en pleine mer. Au cœur de ce discours anti-réfugié-e-s hégémonique, il y a le terme de «réfugié-e-s illégaux» – où celles et ceux qui arrivent par mer sont pensés comme des profiteurs, bien qu’ils aient quitté des régions reconnues internationalement en conflit.

Plus encore, l’Etat opère de manière cachée, protégé par le secret, justifié par l’argument que ce n’est pas «dans l’intérêt national que d’annoncer les arrivées de bateaux». Quelque part, beaucoup croient que l’Etat «sauve des vies en mer», tout en ignorant combien de vies humaines ont été détruites à cause des renvois de bateaux. Dans certains cas, celles et ceux qui fuyaient les persécutions ont été directement renvoyé-e-s chez leurs bourreaux – comme c’était le cas cette année encore avec des Tamoul-e-s remis aux autorités sri-lankaises.

Dans l’ensemble, ce régime très éloigné du besoin urgent de rendre compte des migrations forcées à l’intérieur du système économique néolibéral. Les migrations forcées sont liées de manière endémique à la mondialisation néolibérale et reflètent structurellement les inégalités mondiales. Alors que notre monde est modelé continuellement par les guerres, les frontières, la mondialisation et le changement climatique, le déplacement de personnes ne peut qu’augmenter. L’Australie, comme les autres pays industriels, a sa responsabilité.

La politique australienne de dissuasion, renforcée par le racisme, ignore le fait que les personnes persécutées vont continuer à chercher un refuge, pas tant parce que c’est un droit humain fondamental, mais parce que malheureusement ces personnes n’ont souvent guère d’autres choix.

Elise Klein

Article paru dans PDG N°139

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