Archive: Le placard suisse

Stéphanie Pache •

Avec le mois de fiertés (Pride Month), Pages de gauche ressort de ses archives un article écrit par Stéphanie Pache en juin 2012 (Pdg no 112) consacré à deux ouvrages, toujours d’actualité, faisant l’histoire de l’homosexualité masculine en Suisse.


Le champ de l’histoire des homosexualités en Suisse s’ouvre enfin aux francophones par la publication de deux ouvrages: un volume de la collection «Le savoir suisse», Homosexualités masculines en Suisse, petite synthèse issue de deux recherches plus larges de Michaël Voegtli et Thierry Delessert, et l’édition de la thèse de ce dernier, «Les homosexuels sont un danger absolu».

Le premier de ces ouvrages constitue une courte présentation associant l’analyse des procédures parlementaires – qui ont conduit à une dépénalisation partielle de l’homosexualité dans le Code pénal suisse de 1942 – et une histoire des associations homosexuelles.

Cette dernière présente les organisations homosexuelles suisses de la création de la première association, le Kreis à Zürich en 1931, jusqu’au foisonnement actuel des associations cantonales, dont la création et le maintien doit beaucoup à la mise en place d’une politique publique de prévention et de lutte contre le VIH. Cette histoire met notamment en exergue les tensions du mouvement entre des partisan·e·s de la politique du placard, c’est-à-dire la soumission à la norme pénale et morale de discrétion et d’ordre, et des personnes qui revendiquent une lutte militante visible et radicale pour leurs droits, qui s’exprime par exemple dans l’injonction politique à faire usage du coming-out.

L’autre aspect du livre, la question pénale, est mis en perspective par l’analyse des discours des experts juridiques et médicaux qui ont cours au début du XXe siècle. Cette partie résume très brièvement les résultats des travaux de Thierry Delessert, dont on trouve heureusement un riche développement dans la publication de sa thèse. Son travail nuance les processus politiques qui ont mené aux réformes juridiques donnant plus de libertés aux personnes homosexuelles, en montrant le rôle du discours psychiatrique sur la maladie mentale que représente l’homosexualité pour les psychiatres dans la déresponsabilisation pénale de leur comportement. Dans cette perspective, on voit aussi que ce n’est pas le progressisme des parlementaires qui semble à l’origine de la dépénalisation de 1942, mais bien leur souci de préserver l’ordre public et moral en minimisant les risques de chantage et d’activisme homosexuel.

On soulignera que les travaux en question traitent essentiellement des homosexualités masculines, reconnaissant n’aborder la question lesbienne qu’à la marge. Espérons que la mention de la double invisibilisation dont les femmes homosexuelles sont victimes en encouragera d’autres à y consacrer leurs recherches.

À lire:
Thierry Delessert, Michaël Voegtli, Homosexualités masculines en Suisse, Lausane, PPUR (Le savoir suisse), 2012
Thierry Delessert, «Les homosexuels sont un danger absolu», Lausanne, Antipodes, 2012

Cet article a été publié dans Pages de gauche n° 112 (juin 2012).

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