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Un regard extérieur sur Pages de gauche, hebdomadaire socialiste …de gauche


Par Pierre Jeanneret


 

«Dire le bien ou le mal, ce n’est pas mon rôle. Il ne s’agit pas seulement de condamner le bourreau en disant: c’est un salaud. Pourquoi est-il bourreau, pourquoi l’est-il devenu, pourquoi la société a-t-elle besoin d’un bourreau? Là, avec ces questions, tout devient intéressant.»

Benno Besson, interview dans Le Nouveau Quotidien, 2 mai 1993, cité in: Benno Besson. Jouer en apprenant le monde, textes rassemblés, traduits et présentés par Henri Cornaz, Yverdon: Ed. de la Thièle, 1998, p. 99.

 

Aux côtés de Domaine public, Gauchebdo, Solidarités, La Brèche, L’Anticapitaliste et bien d’autres, Pages de gauche a sa place dans la constellation très (trop?) diversifiée de la presse de gauche en Suisse romande. La qualité des dossiers élaborés par ce mensuel justifie le fait qu’un article lui soit consacré[1]. Cela après quelque neuf ans d’existence et environ 80 numéros parus. Ma contribution tentera de faire abstraction de tout jugement de caractère idéologique sur les thèses véhiculées par le journal. Elle se veut délibérément une analyse de presse factuelle, «objective» et sachlich. Pour des raisons de place, j’ai limité les notes infrapaginales au strict nécessaire.

La formulation du titre (en rouge) Pages de gauche, une idée de Laurent Carrard, a été adoptée en mars 2002, après quelques tergiversations. Les initiateurs avaient d’abord songé à Rosa et à Idées fortes, jugés le premier trop élitaire, le second trop théorique. Le titre retenu a d’abord figuré en majuscules (jusqu’au No 14/juillet-août 2003), puis en minuscules grasses: cette modification allait de pair avec l’adoption d’un graphisme plus moderne, comprenant notamment la suppression des fonds gris d’une lisibilité médiocre. Par ailleurs, ce nouveau graphisme fait référence aux journaux de gauche de l’entre-deux-guerres, notamment en Allemagne. La maquette du PdG a été réalisée successivement par Philippe Mivelaz, architecte, puis dès le No 15/sept. 2003 par un professionnel mandaté, Marc Dubois, graphiste lausannois. Le sous-titre (également en rouge), Mensuel d’opinions socialistes, a été transformé (dès le No 67/mai 2008) en Mensuel d’opinions socialistes indépendant, qui soulignait explicitement la volonté initiale de n’être pas inféodé au Parti socialiste et à ses instances officielles. Le format du journal (31,3 x 24 cm) n’a pas changé jusqu’au No 79/juin 2009. Pour des raisons de coût, il a été réduit à 29,6 x 21 cm (ainsi que l’épaisseur du papier) dès le No 80/septembre 2009. Le prix au numéro était de 4.50 francs pour le No 1/mai 2002. Il a augmenté à 5.- dès le No 35/juin 2005. Quant à l’abonnement annuel, il a passé de 29.- à 39.- dès le No 12/mai 2003, puis à 49.- dès le No 35/juin 2005. La possibilité existe de souscrire à un abonnement de soutien à 100.- puis 130.-, ou à un abonnement à 29.- pour AVS, AI, étudiant-e-s et «chôm-euse-eur-s»[2]. La répartition des abonnés effectuée en juin 2004 – nous ne disposons pas d’analyse du lectorat plus actuelle – indique: Vaud 470, Genève 140 (chiffre médiocre qui prouve une faible implantation de PdG, en regard du nombre d’habitants et de la force du mouvement socialiste dans le canton), Neuchâtel 120, Fribourg 70, Berne 70, Valais 60 (chiffre estimable, si l’on tient compte du rapport des forces dans ce canton, et probablement obtenu en partie grâce à l’engagement dans le journal du conseiller national socialiste Stéphane Rossini), Jura 40, auxquels s’ajoutent quelques abonnés en Suisse alémanique et au Tessin. On voit que, malgré la volonté initiale de créer un organe de presse intercantonal, celui-ci est de plus en plus centré sur Vaud. Le nombre d’abonnés, fluctuant entre 1000 et 1100, stagne, d’où les difficultés financières récurrentes de PdG, à l’instar des autres journaux de gauche! 800 personnes versent une cotisation individuelle, 200 sont abonnées par les sections du PS, cela afin d’atteindre les 1000 exemplaires nécessaires pour bénéficier du tarif d’envoi préférentiel par La Poste, beaucoup moins élevé que le tarif B. Le budget annuel est de 55’000.- Il permet de financer 20% de poste salarié, soit 10% pour la gestion et le secrétariat (Line Rouyet), et 10% pour la mise en pages, assurée par la graphiste Annabel Glauser puis par Benoît Gaillard. A l’instar de Domaine public, de Solidarités …ou de La Nation, PdG n’accepte pas de publicité dans ses colonnes et ne vit donc que des abonnements et des dons.

Le mensuel n’a pas de liens institutionnels avec le Parti socialiste. Néanmoins, la rédaction a eu la possibilité d’envoyer le journal aux personnes figurant dans les listes d’adresses du PS, sur la base d’un contrat de confiance. Elle dispose d’un local à Lausanne (rue Saint-Pierre 1) qui lui est loué à un prix favorable par Domaine public: ce dernier, depuis la cessation de sa parution sur papier et son passage intégral à l’informatique, n’en a plus besoin. PdG bénéficie en outre de sa proximité avec les élu-e-s du PS (notamment Pierre-Yves Maillard, Géraldine Savary, Cesla Amarelle, Stéphane Rossini), appartenant à cette même tendance de gauche dans le parti, qui ont participé en 2002 à la création du journal. Celui-ci dispose donc d’importants relais[3]. Cette proximité avec «le pouvoir» (même si, en Suisse romande, la gauche du PSS y est fortement représentée) peut néanmoins induire des ambiguïtés: cela explique-t-il le besoin, en 2008, d’introduire dans le sous-titre l’adjectif indépendant? Quant aux Jeunesses socialistes, c’est une partie de leur ancien noyau dur qui a fondé le journal. Rappelons qu’historiquement – et c’est le cas aussi dans d’autres formations politiques – les Jeunesses ont toujours représenté un élément actif, dynamique, militant, combatif et plus «à gauche» dans le PSS, cela depuis le début du XXe siècle.

Dès ses origines, PdG s’est doté d’un Comité et d’une Rédaction (permanente et occasionnelle). La liste des membres respectifs de ces deux organes est publiée dans chaque numéro, et il serait fastidieux de la reproduire ici, d’autant qu’elle s’est modifiée au cours des années. On verra apparaître plusieurs noms tout au long de cet article qui cependant, selon la formule établie, ne prétend nullement à l’exhaustivité. Le Comité se réunit tous les mois environ, la rédaction chaque semaine. Il n’y a pas de rédacteur en chef ou responsable: l’éditorial est toujours signé collectivement. Remarquons que la rédaction s’est rajeunie ces dernières années. On peut mentionner, parmi d’autres, les noms de Samuel Bendahan, Romain Felli, Raphaël Mahaim, avant que ce dernier ne passe aux Verts. Certains collaborateurs en revanche, sur le plan générationnel, sont hors du cercle des «jeunes» du PS: par exemple Dan Gallin, syndicaliste aux contacts internationaux; Pierre Aguet, qui a appartenu dans les années 1960-70 à la génération des «réformateurs» hostiles à la direction autoritaire et «droitière» de Pierre Graber; ou encore l’enseignant retraité Raymond Durous, actif dans de nombreux mouvements citoyens et sociaux. Ces personnes établissent donc une sorte de lien diachronique avec les luttes des diverses «tendances de gauche» du passé dans le PS.

Pourquoi et dans quelles circonstances la création de PdG a-t-elle été ressentie comme un besoin? L’idée originelle est venue de Pierre-Yves Maillard, alors secrétaire syndical, qui demanda l’appui de conseillers/-ères nationaux socialistes, comme Valérie Garbani, ce qui permit de financer les débuts du journal. La première réunion eut lieu en 2001: «on était alors dans toute la bataille autour de l’avenir des services publics et des dangers de les privatiser», selon Philipp Müller. Il fallait un instrument pour véhiculer les idées socialistes: pas un organe officiel, mais un journal de réflexion et de débats d’idées permettant de fédérer d’autres gens, non membres du PS. Par ailleurs, les initiateurs du projet voulaient combler un vide. En effet, la disparition de la presse socialiste en Suisse romande se faisait cruellement ressentir (fin de parution de la Tribune Socialiste Vaudoise, fiasco de Jet d’Encre[4], Il ne restait que Domaine public – les «intellectuels de la social-démocratie» explicitement acquis au réformisme – dans lequel on ne se reconnaissait pas. Même si la création de PdG provoqua la surprise (c’est un euphémisme) dans la mouvance de DP, il faut remarquer que leurs relations seront correctes: loyer du local dont il a été question plus haut, interview d’André Gavillet sur les enseignements du phénomène estudiantin mais surtout ouvrier de Mai 68 (No 67/mai 2008), etc.

Les objectifs et les thèses principales de PdG étaient clairement définis dès le départ. Il s’agissait de contribuer à l’analyse critique de la réalité sociale et économique. L’accent ne serait pas mis sur les problèmes locaux, qui ne sont cependant pas totalement évacués: ainsi les élections valaisannes (No 32/mars 2005). Une rubrique Cantons a d’ailleurs été introduite de manière structurelle dès 2003-2004. PdG «se focalise notamment sur les enjeux de politique fédérale, les débats d’idées et aussi les enjeux de politique internationale.» (No 24/juin 2004). La nouvelle publication serait mensuelle, ce qui induisait le système du dossier (de longueur variable, de 4 à 8 pages), l’approfondissement d’une question, chaque numéro étant ainsi centré sur un thème. Ces dossiers – sur l’assurance maladie, l’altermondialisme, l’eau, l’expérience du Chili d’Allende, les retraites, l’Europe, la gauche et l’écologie, la politique d’asile, les prisons, l’agriculture, Mai 68, les transports publics, la neutralité suisse, la Chine ou la Russie, ou encore la commémoration de la grève générale de 1918, pour n’en donner que quelques exemples – sont élaborés par une équipe, selon les intérêts, connaissances et spécialisations des différents rédacteurs et de collaborateurs occasionnels. On peut distinguer quatre axes principaux, privilégiés dès le début par les initiateurs du journal, et que nous décrirons successivement: 1) la lutte contre «la dérive social-démocrate» dans le PS et les partis socialistes étrangers; 2) la défense du service public et «du social» en général (notamment par une fiscalité plus juste et une meilleure répartition des richesses; 3) les relations avec les syndicats; 4) l’internationalisme.

Par le premier des objectifs susmentionnés – la lutte contre la social-démocratie – le groupe gravitant autour du journal apparaît comme une tendance de gauche du PS. C’est ainsi qu’il se perçoit lui-même. Il s’attaque donc bien sûr à la tendance social-libérale ouverte, incarnée à ses yeux «par Sommaruga, Strahm et Leuenberger», très minoritaire mais importante médiatiquement dans le PSS, et surtout forte à l’étranger: «rejeter Tony Blair et Gerhard Schröder, car leur social-libéralisme n’est rien d’autre qu’un masque cachant (mal) leur volonté de défendre avant tout la loi du profit.» (No 1/mai 2002). Mais surtout, une place importante dans le journal est consacrée à la critique de la tentation centriste. Selon P.-Y. Maillard, «les élites des social-démocraties cherchent ainsi à s’affranchir de leur lien avec le monde du travail pour s’unir avec les puissances économiques.» (No 13/juin 2003). L’échec de Jospin aux présidentielles françaises et la montée de Le Pen doivent servir d’avertissement: «Face à ce constat, une conviction: la gauche n’est forte que si elle incarne une véritable alternative à la droite.» (ibid.) Après l’entrée de Blocher au Conseil fédéral, il s’agit de retourner à un PSS d’opposition et de constituer «un front des gauches avec les organisations politiques qui lui sont proches mais surtout (…) en lien organique avec les forces syndicales.» (No 20/février 2004). Consécutivement, PdG remet régulièrement en question la participation du PSS au Conseil fédéral – vieux sujet de débat au sein du mouvement socialiste – et plaide pour le retrait, au vu notamment de mesures prises par des conseillers fédéraux socialistes ou avec leur consentement, comme le relèvement de l’âge de la retraite des femmes. Un article très dur stigmatise les directions du PSS et de l’USS, qui ont refusé de soutenir le référendum contre la 5e révision de l’AI (No 50/nov. 2006). On notera aussi les accusations contre la «grande majorité de la « gauche » parlementaire» – et incidemment l’usage des guillemets cher à Gauchebdo ou Solidarités – co-responsable de la libéralisation du marché de l’électricité (No 55/avril 2007). Michel Cambrosio démontre que «la participation des socialistes au Conseil fédéral est devenue contre-productive» et que le souci de concordance affaiblit le parti (No 17/nov. 2003). Nulle rupture cependant avec le PSS: le journal appelle régulièrement à signer ou à voter ses initiatives ou référendums: ainsi l’«initiative pour plus de justice fiscale», dans un dossier consacré aux impôts (No 54/mars 2007). On trouve dans PdG les signatures de personnalités du PSS moins connotées à gauche, comme Liliane Maury Pasquier, Alain Berset, Roger Nordmann ou Maria Roth-Bernasconi.

C’est le combat pour «le social», au sens le plus large, qui occupe le plus grand nombre de pages, cela dès le No 1 consacré au système de santé. La priorité de PdG est la défense du service public, qu’il s’agisse de la démocratisation des études universitaires (No 6/nov. 2002), du logement (No 11/avril 2003), de la privatisation des chemins de fer ou de l’eau (No 12/mai 2003), ou du chômage des jeunes et de leur marginalisation (No 33/avril 2005), avec un article de la conseillère d’Etat Anne-Catherine Lyon. Il n’est pas rare qu’un thème important soit repris comme sujet principal dans plusieurs numéros: ainsi le problème du logement revient-il dans le No 35/juin 2005. Souvent, les dossiers sont introduits par un rappel historique, dont on appréciera la sobriété et la clarté: sur la «naissance difficile» de l’AVS par Jean-Jacques Monachon (No 16/oct.2003), sur l’intégration des socialistes au Conseil fédéral, par Olivier Longchamp (No 17/nov. 2003), etc. Dans le No 7/déc. 2002, le président de l’Association pour l’étude de l’histoire du mouvement ouvrier (AEHMO) Charles Heimberg présente un historique des grèves en Suisse. Le journal fait volontiers appel à des militant-e-s et/ou spécialistes de causes sociales et engagés sur le terrain: plusieurs syndicalistes, Gérard Forster connu comme défenseur des travailleurs immigrés en Andalousie, Roland Cosandey parlant au nom des aveugles à propos de l’AI, Hélène Küng aumônière pour les demandeurs d’asile à Vallorbe, un criminologue à propos de «l’insécurité», etc. Ce qui démontre sa volonté de ne pas se cantonner aux considérations théoriques. On notera la place importante – comme dans Domaine public – dévolue à la fiscalité, plus précisément à l’inégalité fiscale et au catalogue de réformes préconisées par la gauche du PS pour introduire une fiscalité plus juste et égalitaire. La corrélation entre les baisses d’impôts ou les privilèges fiscaux d’une part, les privatisations et le recul «du social» d’autre part apparaît comme évidente: «Affamer l’Etat, réduire son influence et remettre en cause ses politiques sociales, tel est le programme des actuels élus du Conseil fédéral», notamment du «tandem Merz-Blocher et avec la passivité consentante de leurs collègues» (No 37/sept. 2005). PdG bénéficie de la bonne formation économique de plusieurs de ses collaborateurs, comme André Mach, Olivier Longchamp ou Philipp Müller.

Tous ces dossiers – souvent fort austères il faut l’avouer – gagnent en lisibilité grâce à une mise en pages aérée et au recours à la photographie. L’illustration d’un dossier a été à plusieurs reprises confiée à un photographe engagé: par exemple Antoine Menthonnex pour le No 4/sept. 2002 consacré à la LME (Loi sur le Marché de l’Electricité). La caricature n’est pas absente du journal. Dès le No 1 apparaît le personnage de Jean-Rodolphe dit «JR», patron au cigare qui est explicitement «un archétype caricatural» imaginé par Christian Vuilloud, un militant socialiste de la Vallée de Joux. Un florilège rétrospectif de ces caricatures figure dans le No 36/août 2005, à l’occasion des trois ans du journal.

On a vu plus haut la place importante accordée au syndicalisme et aux rapports des socialistes avec lui. PdG défend «un syndicalisme de combat» (No 5/oct. 2002). La lutte exemplaire des travailleurs de la SAPAL (Société Anonyme des Plieuses Automatiques Lausanne) doit prouver l’aphorisme «Conflit social, source de progrès» (No 7/déc. 2002). A travers P.-Y. Maillard, alors secrétaire régional FTMH Vaud-Fribourg, et Dan Gallin, créateur du Global Labour Institut et secrétaire d’un syndicat international, PdG dispose d’ouvertures vers les milieux syndicaux helvétiques et saisit la dimension internationaliste de l’action syndicale (cf. dossier sur la Chine, No 54/mars 2007).

Enfin l’internationalisme, «jadis un maître mot pour les socialistes du monde entier» (No 5/oct. 2002) semble être tombé en léthargie. Le PdG y est acquis et le considère comme l’une de ses priorités. Il doit constituer une réponse à la globalisation libérale ou «mondialisation». Avant même sa création, le groupe du journal a des contacts avec la Gauche socialiste française, tendance créée par Jean-Luc Mélenchon et Harlem Désir, qui «milite en faveur d’un PS plus clairement à gauche s’opposant à la mondialisation libérale, défendant les services publics et s’engageant pour une véritable Europe sociale.» (No 2/juin 2002). PdG est donc proche des mouvements altermondialistes: Porto Alegre, Attac (né en France peu auparavant, en 1998, autour de la Taxe Tobin sur les transactions financières), le mouvement des «Sans-Terre» au Brésil, la Déclaration de Berne créée en 1968, etc. Le journal offre régulièrement un espace, dans ses colonnes, aux représentants de ces associations, ce qui est accessoirement, lié à une action de promotion: une page offerte à l’association (internationaliste, mais aussi à Uniterre, au GSsA, à des groupements de handicapés, etc.) contre une distribution du journal à ses membres. Cela sans occulter les rapports ambigus, voire l’animosité qui peuvent exister entre gauche institutionnelle et altermondialistes (No 30/janvier 2005). Des vécus personnels ont favorisé l’établissement de liens internationaux, comme celui de Philipp Müller qui a fait un an d’études au Chili.

On passera plus rapidement sur d’autres thématiques importantes développées dans le mensuel. Ainsi le combat contre l’UDC blochérienne, «le nouveau parti de la droite économique» ultra-réactionnaire, populiste et xénophobe (No 18/déc. 2003): «Pages de gauche s’inscrit clairement dans la volonté d’opposer à l’arrogance de la droite néolibérale blochérisée un projet de société alternative fondé sur la démocratisation sociale, économique et culturelle du monde.» (No 50/nov. 2006). On relèvera un dossier fort sur la politique d’asile, concernant notamment la vie des NEM (non-entrée en matière) en Suisse ou encore les réfugiés homosexuels menacés de mort au Pakistan ou en Iran (No 37/sept. 2005). PdG milite aussi pour le maintien d’une agriculture suisse de proximité, garante de souveraineté et de sécurité alimentaire, ainsi que de biodiversité. Dans le No 41/janvier 2006, la rédaction reprend le thème ancien et récurrent des convergences entre le mouvement socialiste et la paysannerie (la fameuse «alliance rouge-verte»). Même si le journal est idéologiquement proche du GSsA, l’armée et l’antimilitarisme (No 28/nov. 2004) ne semblent pas constituer un axe fort pour l’équipe rédactionnelle. Au contraire du féminisme, ce qui s’explique et par une claire compréhension des enjeux et par la forte présence féminine dans le groupe de PdG: articles de Cesla Amarelle, Solange Peters ou Rebecca Ruiz sur les inégalités sur le marché du travail ou dans la représentation politique (No 29/déc. 2004), sur la publicité sexiste dégradante, etc. Comme il le fait pour d’autres mouvements, PdG offre une tribune aux organisations féministes de Suisse, avec mention de quelques sites Internet (No 10/mars 2003). A l’exception de comptes rendus de livres, presque exclusivement au contenu social et politique (qu’il s’agisse du dernier ouvrage d’Eric Hobsbawm ou du 21e Cahier de l’AEHMO/Contestations et Mouvements 1960-1980), on notera aussi que la culture (théâtrale, musicale, picturale, etc.) occupe peu d’espace dans PdG. Si les manifestations artistiques n’apparaissent guère dans ce mensuel, on relèvera quelques articles de réflexion fondamentale sur la culture et ses liens avec la gauche. Les réalités économico-sociales du sport (football, hockey, etc.) ne sont pas non plus passées sous silence.

Une place de choix est réservée dans le mensuel à l’histoire, avec la volonté de faire une histoire non commémorative et axée sur le passé, mais mise en perspective avec les luttes actuelles et futures (ainsi les dossiers sur les Fronts populaires France/Espagne 1936/Chili ou sur la grève générale de 1918). Plusieurs historiens collaborent au journal: outre les noms déjà cités, Olivier Longchamp, Florian Ruf, Julien Wicki. On relèvera aussi la publication d’un cahier spécial (intégré dans le No 56/mai 2007): «une lecture socialiste et démocratique» du Manifeste communiste de Marx et Engels, par le théoricien travailliste britannique Harold Laski.

Renouant avec une tradition du quotidien Le Droit du Peuple dans les années 1920-30, le journal présente, numéro après numéro, quelque quatre-vingts «grandes figures» du mouvement socialiste, ou de révolutionnaires, de contestataires, d’esprits critiques au sens le plus large. Chacune est illustrée par un portrait dessiné par Philippe Mivelaz, par ailleurs auteur de nombreux articles. On y trouve bien sûr les patriarches historiques et tutélaires (Karl Marx, Jean Jaurès, Paul Golay…), mais aussi des figures plus inattendues, comme Socrates Brasileiro, ancien footballeur et militant du Parti du Travail du Brésil, ou Patti Smith, poétesse américaine et chanteuse rock, des penseurs et théoriciens comme John Maynard Keynes ou Michel Foucault, ou encore des personnalités récemment disparues (Georges Peters, Gérard Forster, André Gorz, Aimé Césaire…) Les portraits sont souvent en rapport avec le dossier présenté dans le numéro: ainsi Grisélidis Réal avec le «travail du sexe», Emilie Gourd avec le féminisme, Charles Naine avec l’objection de conscience, Paul Grüninger avec le thème de l’asile.

La multiplicité et la variété des figures présentées témoignent de l’esprit d’ouverture dont se réclame PdG aux divers mouvements politiques et associatifs. Concernant les autres formations politiques, il faut y voir surtout la volonté de ne pas s’enfermer dans un carcan partisan, de stimuler le débat au sein des diverses forces progressistes, et d’appeler à un «front des gauches» dépassant les frontières du PS. C’est ainsi que la parole est donnée à Fernand Cuche ou Anne-Catherine Menétrey membres des Verts, à Jean-Michel Dolivo de SolidaritéS, à Charles-André Udry du Mouvement pour le Socialisme, ou à Marianne Huguenin du POP. Avec ce dernier (et si l’on fait abstraction de son passé stalinien), les différences politiques paraissent à vrai dire ténues. Plusieurs militants de PdG mettent en avant l’argument de l’efficacité: il serait, selon eux, plus utile de faire passer leurs idées de gauche dans le PS que dans un petit parti considéré comme politiquement marginal, au niveau fédéral en tout cas. Quant à une fusion éventuelle entre organes de presse de gauche, elle relève de l’utopie: il faudrait que l’intégration des journaux s’accompagne d’une fusion organique, ce qui est à ce jour inimaginable. Par ailleurs, chaque formation tient mordicus à son journal, qui relève de son identité même.

Il ne semble pas que PdG ait connu des conflits internes entraînant des ruptures. En revanche certains sujets ont été l’objet de débats contradictoires au sein de la rédaction. On notera par exemple les reproches virulents adressés par le syndicaliste Dan Gallin à Franco Crivelli, engagé dans l’association MédiCuba, pour un article jugé trop favorable au régime castriste (Nos 22 et 24/avril et juin 2004). Ou encore le souci de l’équipe rédactionnelle de ne pas se laisser entraîner dans des critiques trop virulentes envers le PSS.

Le système des dossiers qu’a adopté PdG comporte certes des dangers: celui de ressasser les mêmes thèmes, une tendance aussi à l’intellectualisme parfois indigeste. On peut cependant comprendre et approuver ce choix fondamental clairement explicité: «A l’époque de la surabondance médiatique, des journaux gratuits, de la télévision bavarde, qui tous, peu ou prou, reproduisent « le système bourgeois dominant », [nous avons le] projet de fournir un point de vue socialiste sur les grands enjeux qui nous entourent.» (No 56/mai 2007, supplément p. I). Le pari semble réussi.

 


[1] Cette contribution se fonde principalement sur la lecture et l’analyse du journal (du No 0/mars 2002 au No 83/décembre 2009), mais également sur un entretien oral avec Philipp Müller et André Mach, le 26 juin 2009 à Lausanne.

[2] On observera que la formulation épicène des mots (ex. employée-e-s) n’est pas systématique dans PdG. Je n’y recourrai qu’exceptionnellement, pour ne pas alourdir mon texte.

[3] Remarquons par exemple que l’un des principaux animateurs de PdG entre 2001 et 2006, Philipp Müller, après sa formation en histoire économique, couronnée par un doctorat, et ses fonctions d’assistant à l’UNIL, est devenu collaborateur personnel de P.-Y. Maillard et, dès fin 2006, secrétaire-général adjoint du Département vaudois de la santé et de l’action sociale.

[4] La TSV a vu le jour le 22 septembre 1971 (sous ce titre dès le No 15 du 1er mai 1973), à la mort du journal socialiste Le Peuple-La Sentinelle. Son initiateur et principal animateur fut Pierre Aguet, secrétaire du PSV. Le dernier numéro (No 249) parut en novembre 1993. L’aventure de Jet d’Encre, qui se voulait «journal socialiste romand», a commencé en 1992 et s’est terminée déjà avec le No 35-36 de décembre 1993.

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