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Transnationales minières : déprédation écologique et violations des droits humains

L’Amérique Latine, source historique de « ressources naturelles » pour faire tourner les grands complexes industriels du monde, vit aujourd’hui les effets de la pauvreté grandissante, la dévastation écologique et la violation de droits, maux causés, paradoxalement, par ses énormes richesses naturelles. C’est ce qui est en train de se passer notamment avec la grande industrie minière, depuis la fin du siècle dernier. Suite à la « modernisation » de la législation relative aux activités minières imposée par la Banque Mondiale, une puissante vague d’investissements créa les conditions pour que les grandes corporations transnationales qui contrôlent la chaîne de valeur des minerais à l’échelle mondiale transforment la région en territoire privilégié pour l’approvisionnement de telles ressources stratégiques.

Les anciennes inégalités écologiques et économiques mondiales se sont vues renforcées par l’implantation de grandes exploitations minières dans la région pendant les dernières décennies. Malgré le fait d’avoir un taux de consommation de minerais par habitant parmi les plus bas du monde –un peu moins de 5 % de la consommation mondiale-, l’Amérique Latine est devenue un des principaux centres d’approvisionnement de la demande mondiale en ressources minérales non renouvelables. La  rareté relative grandissante de celles-ci, ainsi que les manœuvres spéculatives et la course aux profits que se livrent les entreprises et les Etats ont fait grimper autant  leurs prix que les violations de droits et la destruction des écosystèmes.

Une géographie de l’extraction (basée surtout dans les pays du Sud) complètement différente de celle de la consommation de minerais (Europe Occidentale, Amérique du Nord et pays industrialisés asiatiques concentrant 85 % de la consommation mondiale) constitue une équation clé des nouvelles formes d’impérialisme écologique et de racisme environnemental[i]. Les grandes entreprises transnationales constituent un élément fondamental de cette mécanique globale.

L’exploitation minière transnationale à grande échelle est ainsi devenue en Amérique Latine une des activités suscitant le plus de résistances et de conflits sociaux. Car les populations locales subissent  dans leur chair les effets de ce type d’exploitations : destruction d’écosystèmes et de biotopes entiers, déplacement et destruction de la flore et la faune, perte de biodiversité, utilisation et pollution de sources et de cours d’eau, inondation de sols agricoles, forte augmentation d’émissions de gaz à effet de serre et d’autres polluants atmosphériques.

A la dévastation strictement écologique viennent s’ajouter les abus économiques et politiques. Le déplacement forcé de populations, l’appropriation de territoires autochtones sans consultation ni compensation, la violation de réserves écologiques et de parcs naturels, les dommages aux économies locales et la conséquente perte de sources d’emploi, la frustration des attentes et des promesses non tenues de « développement durable » et de « responsabilité sociale corporative », une corruption institutionnelle et une violence en expansion, la manipulation et la cooptation de dirigeants, d’associations, de media, d’institutions éducatives et sanitaires, ainsi que de fonctionnaires de la Justice.

Le pouvoir économique et financier démesuré de ces entreprises crée des environnements propices à la corruption et à l’impunité structurelle, des territoires complètement en marge de la loi. Les droits des populations perdent progressivement toute validité réelle et les êtres humains restent à la merci de la « bonne volonté » des politiques corporatives.

Les agissements des entreprises nuisent en outre à l’image collective que les populations affectées  se font des pays d’origine de celles-ci. Les gens savent parfaitement d’où viennent ces entreprises et les noms de pays tels que le Canada, l’Australie, le Royaume-Uni ou la Suisse résonnent comme une étrange malédiction pour les populations concernées. Car le soutien direct ou indirect à ces agissements, ou le simple manque de contrôle des Etats d’où proviennent ces capitaux fait d’eux un maillon de plus de la chaîne d’injustices et d’impunité globale du business minier transnational.

Un triste cas de figure de ce phénomène est celui des géantes suisses Xstrata Plc. et Glencore, qui possèdent à niveau mondial un vaste portefeuille d’investissements liés à l’exploitation et au commerce de minerais et de matières premières. Récemment fusionnées, elles forment une méga-corporation développant des opérations dans une cinquantaine de pays et générant un chiffre d’affaires global de plus de 175 milliards de dollars annuels et des bénéfices dépassant les 13 milliards de dollars par an. Xstrata est une entreprise ayant une forte présence en Amérique du Sud, où elle investit plus de 30 % de ses capitaux, y retirant une proportion équivalente de ses revenus[ii].

La carte des affaires d’Xstrata se superpose également avec celle des conflits, des plaintes, des cas avérés et même des procès en cours et des sentences pour pollution, non-respect de la législation en matière environnementale et violation des droits humains. Faire la liste exhaustive des abus et violations de droits causés par ces grandes corporations demanderait des centaines de pages. Nous nous limiterons donc à commenter de façon sommaire les cas les plus retentissants.

–   El Cerrejón (Guajira, Colombie) est une vaste exploitation de charbon dont Xstrata Coal détient des actions. Elle a été accusée d’innombrables délits environnementaux et fiscaux ainsi que de violations des droits humains, ce qui lui a même valu une plainte formelle auprès du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU en 2007. L’exploitation des gisements de charbon de la part d’Xstrata a causé de graves dommages à la qualité et la quantité d’eau, modifiant la structure et le débit du fleuve Ranchería, principal cours d’eau de la région. L’expansion continue du projet a provoqué le déplacement forcé de communautés autochtones et afro-américaines, ainsi que nombreux épisodes de violence provoqués par les forces de sécurité privées et les paramilitaires en rapport avec l’entreprise. Les nombreuses émissions polluantes (charbon, silice et métaux lourd) versées dans l’eau et dans l’air ont provoqué la submersion de terrains productifs, l’augmentation de cas de contamination par plomb, de silicose et de cancer parmi les employés et la population environnante, parmi d’autres dommages constatés par le bureau de la Procureur Général dans un procès entamé fin 2010. C’est aujourd’hui l’une des régions les plus touchées par le  phénomène de l’émigration, avec plus de 60’000 personnes déplacées entre 2002 et 2010[iii].

–   Mine de Bajo la Alumbrera (Catamarca, Argentine). Il s’agit du premier et du plus grand projet d’exploitation minière à ciel ouvert en Argentine. Cette mine de cuivre et d’or contrôlée par Xstrata depuis 2003 est située dans une région très aride –avec des précipitations moyennes de 150 mm par an-, en dépit de quoi l’entreprise consomme 100 millions de litres d’eau par jour pour le traitement du minerai et le transport des concentrés. L’utilisation abusive des ressources en eau a perturbé le niveau des eaux superficielles et souterraines, provoquant de graves dommages aux activités agricoles et d’élevage traditionnelles. En outre, les activités minières provoquent d’autres sources de pollution, parmi lesquelles les filtrations sous le bassin de résidus qui finissent par répandre des métaux lourds et des substances toxiques dans tout le bassin du fleuve Vis Vis. On énumère au moins six cas avérés d’épanchements de concentré de cuivre avec d’autres métaux et substances toxiques produits par des dégâts dans le tube qui transporte le matériel destiné à l’exportation, ainsi que le déversement d’effluents liquides polluants dans le bassin du Salí-Dulce. Pour cet ensemble de faits, un procès judiciaire qui se tient depuis plus de dix ans a abouti à l’inculpation du PDG de l’entreprise[iv].

–   Projets El Pachón (San Juan, Argentina), Agua Rica et Filo Colorado (Catamarca, Argentine). Ces trois projets qui se trouvent encore en phase d’exploration par l’entreprise Xstrata ont déjà provoqué le déplacement et la destruction de glaciers. Malgré la nette violation de la Loi Nationale de Protection des Glaciers, l’entreprise refuse de cesser ses opérations dans la région et de présenter les rapports d’impact environnemental que celle-ci exige[v].

Projet Tintaya (Espinar, Pérou). Il s’agit d’un immense projet d’extraction de cuivre exploité par Xstrata depuis 2006. Malgré l’argent dépensé par l’entreprise pour redorer son image, il constitue un foyer de conflits permanents. A présent, l’entreprise fait face à un procès entamé par l’office du Procureur Spécial pour l’Environnement du département de Cusco pour la pollution des deux principaux cours d’eau de la Province d’Espinar, le Salado et le Ccañipia. Le Procureur a présenté des preuves de contamination des eaux par excès d’aluminium, d’arsénique, de fer, de molybdène et autres métaux, ainsi que sur la pollution des sols avec de l’antimoine, de l’arsénique, du cuivre et du mercure. Une forte proportion de plomb a été détectée dans le sang de la population locale, qui subit aussi une augmentation des cas de maladies respiratoires. L’élevage et la pisciculture locale sont également affectés.

Ces quelques cas ne représentent qu’un aperçu des exploitations d’Xstrata et Glencore en Amérique Latine et n’épuisent de loin pas les cas de violation de droits, destruction environnementale et pollution avérés, dont plusieurs font l’objet de plaintes pénales. La liste est très vaste et a tendance à s’allonger en permanence, car nous ne sommes pas face à des « cas isolés » ou à des violations dues au « mauvais comportement » de quelques entreprises, mais bien face à un régime d’exploitation dont la règle est que la rentabilité des entreprises repose sur ces mêmes pratiques. Un modèle écologiquement vorace qui ajoute à la déprédation environnementale la violation des droits fondamentaux des populations dont le seul tort est d’habiter des territoires riches en ressources minérales.

Malgré les politiques basées sur la répression, la résistance des communautés concernées augmente, tant géographiquement que politiquement. Leur cri de justice demande la solidarité des autres sociétés : une solidarité planétaire des peuples entre eux et avec la Terre Mère. En fin de comptes, notre seul habitat et notre source de Vie.

 

Cet article est à mettre en lien avec deux autres articles sur cette thématique :

Recension: le négoce des matières premières

PPP et Action de Carême: Glencore en République démocratique du Congo



[i] Données tirées des statistiques mondiales du World Bureau of Metal Statistics (http://www.world-bureau.com/) et de la Commission économique pour l’Amérique Latine (CEPAL). Pour un panorama de l’extraction et consommation mondiale de minerais par régions pendant les trois dernières décennies, voir Sánchez-Albavera, F. et Lardé, J. (2006) “Minería y competitividad internacional en América Latina”. CEPAL : Santiago de Chile.

[iii] Données tirées du plaidoyer du procureur colombien Oscar Ibáñez Barra, et du Document sur les violations des droits humains commises par des entreprises transnationales en Colombie soumis au Conseil des droits de l’homme de l’ ONU, dont on peut consulter quelques extraits sur le site http://www.cetim.ch/es/interventions/288/violaciones-de-los-derechos-humanos-cometidas-por-las-empresas-transnacionales-en-colombia

[iv] Machado Aráoz, Horacio (2009). “Minería transnacional, conflictos socioterritoriales y nuevas dinámicas expropiatorias. El caso de Minera Alumbrera”, in Svampa y Antonelli (éds.), Minería transnacional, narrativas del desarrollo y resistencias sociales. Buenos Aires : Biblos.

 

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