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RIE III: on attend les nuages de sauterelles!

On ne les compte pas par centaines en Suisse, les victoires de la gauche dans les urnes. Puisque gagner les élections est hors de portée au niveau fédéral, tout le monde sait que c’est sur les mécanismes de la démocratie directe qu’il faut compter pour voir la gauche gagner. Quelques initiatives, des référendums un peu plus nombreux, puis vint ce 12 février 2017 que l’on peut à bon droit qualifier d’historique. Une droite en rangs serrés, gavée par les millions d’economiesuisse et qui a criaillé pendant des semaines à nos oreilles qu’un «non» à la RIE III allait provoquer le départ des multinationales et une hémorragie d’emplois, un parlement et des gouvernements cantonaux au garde-à-vous devant les mêmes forces patronales, un Conseil fédéral prêchant la bonne parole à qui voulait l’entendre, un tir d’essai réussi dans le canton de Vaud l’an passé: tous les voyants semblaient au vert pour la plus grande arnaque fiscale de ce début de siècle, qui consistait, rappelons-le tout de même, à faire croire à la population qu’elle devait défendre les profits d’une poignée d’actionnaires comme si sa survie en dépendait.

Et puis des grains de sable sont progressivement venus gripper la machine. Le PSS et les syndicats ont lancé le référendum et ont pris leur bâton de pèlerin pour expliquer cette réforme et les entourloupes qu’elle contenait. Quelques voix sont sorties du bois, comme celle de l’ancienne Ministre des finances Eveline Widmer-Schlumpf (laquelle avait déjà été l’un des fers de lance contre le « paquet fiscal » en 2004, alors en sa qualité de Présidente de la conférence des directeurs cantonaux des finances). La droite a perdu le soutien des villes, y compris les dernières qu’elle contrôle, qui ont fait campagne contre la réforme parfois très activement (par exemple Florence Germond, municipale lausannoise des finances). Economiesuisse s’est lancée dans une campagne poussive qui misait sur la débilité supposée des citoyens et des citoyennes, ce qui n’est jamais la meilleure manière de les convaincre du bien fondé des positions que l’on défend. Des partisan·e·s ont commis l’erreur tactique majeure de menacer les votant·e·s en se livrant à un chantage éhonté: soit la RIE3 passe, soit des nuages de sauterelles, la grêle et deux ou trois autres choses s’abattront sur la Suisse. Et enfin, le meilleur atout des opposant·e·s a peut-être été le principal responsable de la campagne du «oui», le Conseiller fédéral Ueli Maurer, qui a pu prouver à cette occasion, une fois de plus, son insondable incompétence et ses qualités très limitées en campagne (on se souvient du pataquès du Gripen, Maurer ayant tout de même réussi l’exploit d’avoir été le premier Conseiller fédéral à perdre un objet militaire). Sa prestation à l’émission «Arena» le 28 janvier, face à Anita Fetz et Daniel Lampart, a par exemple été lamentable. Et puis, surtout, la campagne du «non» a pu compter sur un immense engagement des militant·e·s de gauche, qui voyaient au fil des semaines la victoire se rapprocher sans trop oser y croire.
Le résultat, ce sont ces 59,1% de non, la quasi totalité des cantons à l’exception des pires cancres de la fiscalité, sur lesquels nous allons revenir. Même le canton de Bâle-Ville, dont les grandes entreprises pharmaceutiques avaient tant à gagner avec les généreux abattements fiscaux votés par leurs dociles relais parlementaires, s’est prononcé contre la réforme avec 57,5% des voix. Neuchâtel, qui s’est lancé il y a quelques années dans le trafic fiscal, l’a refusée à 56,2%, un résultat presque identique à celui de Lucerne, où le gouvernement n’est plus capable de payer ses enseignant·e·s à cause des baisses massives de la fiscalité qu’il a décidées ces dernières années.
Parmi les exceptions, il n’est pas trop besoin de s’attarder sur les cas de Nidwald et de Zoug, dont les services fiscaux tiennent davantage de la criminalité en bande organisée que de l’application de l’État de droit, et ce depuis des années. Les cas des cantons du Tessin et de Vaud sont plus inquiétants. Pages de gauche a suivi de très près les péripéties de l’application «anticipée» de la RIE III dans le second, et la décision abracadabrante de faire passer au forceps une série de lois cantonales sans rien encore connaître de la réforme fédérale. Le refus de cette dernière le 12 février démontre, s’il en était encore besoin, l’incroyable imprévoyance du gouvernement vaudois, son inénarrable ministre des finances en tête (lequel, au soir du 12 février, ne semblait pas avoir bien compris que la réforme fédérale avait été rejetée par près de 60% des voix, et demandait benoîtement à ses adversaires de faire preuve de «modération»). Après ces acrobaties calendaires, le canton de Vaud s’est donc distingué d’une autre manière dimanche, en acceptant cette RIE III aux côtés du quarteron de cantons voyous, Zoug et Nidwald en tête, pratiquant la prédation fiscale institutionnalisée, laquelle risque à tout moment d’inscrire la Suisse sur les listes noires de paradis fiscaux dressées par l’OCDE ou l’Union européenne.
Le résultat vaudois est désastreux, pour la place du canton en Suisse d’une part, mais surtout, de notre point de vue, pour le statut de la gauche vaudoise au niveau national. Que le canton de Vaud, généralement positionné parmi les cantons les plus à gauche lors des scrutins fédéraux, se place sur ce sujet à l’extrême droite nationale doit être un sujet d’inquiétude renouvelé. L’engagement très appuyé du Conseil d’État – à majorité de gauche – et de ses représentant·e·s socialistes en faveur du plan d’application cantonal de la RIE III l’an passé n’est évidemment pas étranger à cette débâcle.
Enfin, concluons avec un mot sur l’outil référendaire. Nous espérons sincèrement que le résultat du 12 février fasse taire les critiques à l’encontre de la démocratie directe émanant de la gauche. Lorsque le parlement perd tout sens commun, celle-ci constitue en effet le dernier recours possible pour les forces progressistes. Il est important de le rappeler et de s’en souvenir, et par la même occasion de modérer les attaques incessantes qui cherchent à en limiter l’usage. Nous devons rappeler que l’utilisation de la démocratie directe par l’UDC est purement tactique, comme le refus de cette dernière de lancer un référendum contre la législation d’application de son initiative du 9 février l’a encore une fois démontré. Il est absolument impossible de compter sur l’extrême droite pour soutenir ces institutions proprement extraordinaires qui permettent d’organiser régulièrement de véritables décisions démocratiques, engageant pendant des semaines les citoyen·ne·s dans une délibération sur des sujets cruciaux pour l’avenir de la collectivité. Si les attaques contre la démocratie qui se multiplient actuellement à l’échelle internationale se poursuivent, la gauche sera la dernière à la défendre, en Suisse comme ailleurs, on peut en avoir la certitude.
La rédaction

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