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Raymond DUROUS, Des Ritals en terre romande, tome 2

Raymond Durous, qui est membre du comité de Pages de gauche depuis 2011, vient de publier le second tome des témoignages d’immigré·e·s italien·ne·s en Suisse romande qu’il recueille depuis quelques années. Vingt nouveaux portraits viennent donc aujourd’hui s’ajouter aux précédents, publiés chez le même éditeur en 2010 (voir Pages de gauche n° 90). Combien ces parcours de migrant·e·s sont divers ! On y trouve aussi bien un architecte comme Renato Salvi, que le cuisinier Carlo Crisci, ou Mauro Salvi, charbonnier et bûcheron de son état, des universitaires comme Stéfanie Prezioso ou Myriam Romano, des artistes comme Jacques Cesa, etc. La migration, et cette « double absence » qu’a si bien décrite Abdelmalek Sayad[1], les singularise tou·te·s, mais là s’arrête leur destin commun. Pour certain·e·s, l’immigration a été une nécessité économique, d’autres, la plupart en réalité, ne l’ont connue qu’indirectement. Né·e·s en Suisse, mais assigné·e·s à leur statut d’étrangères·ers par le regard des Suisses, c’est là une histoire qui concerne beaucoup de fils et de filles d’immigré·e·s.

On ne peut que recommander la lecture de ce livre à celles et ceux qui voudront découvrir des histoires étonnantes, des trajectoires surprenantes, mais aussi des moments plus sombres, comme les innombrables humiliations que ces personnes venues « d’ailleurs », pensait-on, ont dû subir. C’est une écriture empathique qu’affectionne Raymond Durous, il nous le montre dans chacun de ses livres. Elle cherche chez chacun·e son humanité, et cherche à la susciter en retour chez ses lectrices·eurs. Des Ritals en terre romande n’est donc pas un récit distancié, cherchant à décrire de la manière la plus objective possible les trajectoires des personnes que l’auteur a choisi d’aller interroger. C’est tout au contraire une écriture qui assume sa subjectivité, un auteur qui s’invite constamment dans le récit, et qui, bien plus qu’interroger les « Ritals » qui viennent dîner avec lui, discute avec eux. C’est une conversation, dans le meilleur sens du terme. Car Raymond est lui aussi un de ces « Ritals », né à Lausanne de parents italiens, et il a à ce titre bien des choses à partager avec celles et ceux dont il fait le portrait avec tant de gentillesse. C’est l’Italie tout d’abord, une terre que l’on ne peut oublier ; c’est le foot et la Squadra Azzura aussi, bien sûr ; c’est la littérature et la culture italienne enfin, des références partagées, des poèmes que l’on récite et des chansons ou des airs d’opéra que l’on fredonne…

On ne peut parler ici en détail de tous ces portraits d’hommes et de femmes, connu·e·s et inconnu·e·s. Et d’ailleurs, quel besoin y aurait-il de le faire puisque Raymond Durous s’y est employé comme personne ? Concluons cependant en rappelant, comme le font elles-mêmes certaines des personnes qui composent ce beau livre, que la xénophobie qui a frappé les Italien·ne·s arrivé·e·s en Suisse il y a quelques décennies touche aujourd’hui d’autres immigré·e·s. Les stéréotypes sont les mêmes, ou du moins fonctionnent-ils exactement de la même façon, et si les « bons Suisses » prétendent bien souvent que, « avec les Italiens, ça allait mieux », ce livre nous rappelle fort à propos que celles et ceux qui profèrent de telles âneries ont la mémoire bien courte. On les pensait déjà inassimilables, menaçant la culture suisse, ses us et coutumes, ses mœurs, etc. On parle de culture chrétienne partagée ? C’est une plaisanterie, il suffit de lire le témoignage de Jean-Claude Jelmini sur les brimades imposées aux catholiques dans le canton de Neuchâtel de sa jeunesse pour s’en convaincre. On parle d’héritage européen ? Plusieurs des entretiens montrent bien que ledit héritage semblait se curieusement se cantonner au Nord des Alpes, ou devoir être s’arrêter plus au Sud quelque part entre la Renaissance et le sac de Rome par Charles Quint.

Les Italien·ne·s de ces années, souvent saisonniers (ce statut indigne qui reste comme une marque d’infamie dans l’histoire de la Suisse), portent aujourd’hui d’autres noms : ce sont les requérant·e·s d’asile en provenance d’Afrique, ce sont les Kurdes ou les immigré·e·s « économiques » du Maghreb, ce sont les Kosovars ou les opposant·e·s biélorusses. Ou alors, ce sont les frontalières·ers que certains mouvements fascistoïdes utilisent à nouveau comme boucs-émissaires. Puisse dès lors le livre de Raymond Durous rappeler à tout le monde que le rejet des autres n’est pas lié à leur qualité, à leur « éloignement » par rapport à notre « culture », mais qu’il est un réflexe puissamment implanté dans ce petit pays qui se croit exceptionnel, et qu’il faut toujours le combattre, chez ses voisin·e·s comme au Conseil fédéral !

Antoine Chollet


[1] Abdelmalek Sayad, La double absence, des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, Paris, Le Seuil, 1999.

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Raymond DUROUS, Des Ritals en terre romande, tome 2,

Vevey, Éditions de l’Aire, 2012, 265 p.

Avec les témoignages de :

Ivan Moscatelli

Antonia Giugno

Jean-Pierre Jelmini

Michel Parmigiani

Tina Fellay Sartori

Marco Patruno

Denis Rabaglia

Tiziana Protti

Renato Salvi

Carlo Crisci

Reginella Mazzieri

Michele Scala

Alda Argenti

Myriam Romano

Gianfranco Gazzola

Vitaliano Menghini

Raffaella Trevisan

Jacques Cesa

Maura Salvi

Stéfanie Prezioso

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