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Primaire au Parti socialiste vaudois: le grand entretien

Nous sommes en pleine mise en œuvre de la LAT fédérale, dans un dossier piloté par le département de Jacqueline de Quattro. Est-ce que la gauche a une vision différente de cette question, et si oui pour y faire quoi?

Roxane Meyer Keller (RMK): Avec la Loi sur l’aménagement du territoire (LAT), on commence par un thème qui fâche et qui s’attire toutes les malveillances des communes, notamment via l’Union des communes vaudoises qui est un lobby très actif sur ce sujet. Il faut dire aussi qu’il y a eu des problèmes de communication entre le canton et les communes; sur 300 communes, environ 100 ont demandé un rendez-vous au Conseil d’État, ce qui montre bien l’ampleur du problème.

La commission compétente du Grand Conseil devrait trouver des solutions, qui devraient être présentées début 2017. Le projet de loi cantonale doit quant à lui être présenté à la Confédération en 2018. Le principe que nous devons suivre est que les gens doivent se déplacer vers les pôles – logements, commerces, lieux de travail –, et pas l’inverse.

S’agissant de l’aménagement du territoire, il faut stopper la construction à outrance. À Avenches par exemple, nous avons doublé la capacité d’accueil en termes de population, et nous n’arrivons pas à suivre.

Fabienne Freymond Cantone (FFC): C’est une très bonne chose que le peuple ait accepté la LAT: c’est grâce à cette loi que nous avons enfin pu agir sur ce sujet dans le canton, avec un vrai contrôle de l’aménagement du territoire dans les communes. À mon avis, il s’agit au contraire d’un département clef, car le territoire, ce qu’on en fait, est la base de la politique. Il serait très intéressant pour la gauche de le reprendre. Il y a des incohérences dans la politique en lien avec le territoire, que l’on songe par exemple à l’énergie ou à la biodiversité. Sur ces questions, ce sont les chefs de service de l’administration qui contrôlent la situation, ce qui doit cesser.

La cohérence entre les pôles économiques et les pôles de logements devrait en outre être améliorée. À ce titre, je regrette que le service du logement ne se trouve pas dans le même département que l’aménagement du territoire. Cela me semble être une erreur stratégique, pour avoir une vision globale du territoire.

Cesla Amarelle (CA): Le but fondamental de l’aménagement du territoire est de préparer le canton aux défis de demain en tenant à la fois compte du développement économique, du vieillissement de la population et de l’augmentation démographique. Pour la gauche, il est indispensable de mettre en œuvre une politique de gestion de l’aménagement qui permette de promouvoir la construction de logements accessibles au plus grand nombre et la consolidation d’une politique des transports qui permette un sain équilibre entre les transports publics et la route. Enfin, il s’agit également d’anticiper les besoins du canton en matière d’hébergement scolaire, hospitalier et médico-social.

Il faut donc simultanément répondre à tous ces besoins et préserver la mixité sociale du canton. Dans le domaine de l’aménagement du territoire, je pense que la politique lausannoise, qui repose sur un principe à la fois très simple et efficace, devrait être appliquée à tout le canton. Ce principe prévoit qu’un tiers des terrains communaux soit libre, un autre tiers régulé, et le troisième subventionné. Cet équilibre permettrait une mixité dans chaque commune.

 

L’école est en mains socialistes depuis longtemps. Nous avons une formation de qualité, mais l’entrée en vigueur de la loi sur l’enseignement obligatoire (LEO) a entraîné des difficultés pour les élèves et les enseignant·e·s. Quelles mesures proposez-vous pour y remédier?

CA: La LEO est revendiquée comme une avancée par les socialistes car elle a entraîné un décloisonnement des filières et amenuise considérablement la part de pression inutile pour les élèves en particulier sur les années de sélection. La LEO a aujourd’hui presque trois ans. Le département de la formation et l’école doivent affronter les conséquences des changements sociaux sur l’enseignement. Dans ce contexte, il est important de stabiliser et de consolider l’école sur la base de la nouvelle législation. Pour la faire évoluer, je propose quatre mesures: consolider la maîtrise de classe pour permettre une plus grande présence du maître de classe et donc un meilleur suivi des élèves en difficultés, surtout en voie générale (VG). Renforcer les moyens pour accompagner les élèves qui ont davantage de besoins spécifiques, dans des classes très hétérogènes. Revaloriser le statut des enseignants, notamment en leur octroyant davantage de périodes de décharges consacrées à la préparation de thèmes forts. Et enfin, il est nécessaire d’engager une discussion autour de la HEP et de sa mission. Il me semble aujourd’hui essentiel de faire un arrêt sur image et se demander si notre Haute école est suffisamment en adéquation avec les besoins des établissements.

FFC: J’ai voté oui à la LEO, car elle contient des avancées. Je sais aussi que les enseignant·e·s ne sont pas à l’aise avec la mise en œuvre de cette loi, et il faut aller à leur contact, par exemple dans les conférences des maîtres. Il y aura un bilan à faire, car il y a du bien et du moins bien. Je suis d’accord sur le fait qu’il faut plus de suivi des classes par un maître référent.

On s’est battu pour pouvoir avoir un programme souple en allemand, car cette branche provoque des difficultés pour les élèves allophones ; la question n’est pas résolue. La loi sur l’enseignement spécialisé est votée et il faut à présent se donner les moyens de la mettre en œuvre pour mieux accompagner les élèves en difficulté. Cet accompagnement ne doit pas être figé, et doit se fonder sur des équipes pluridisciplinaires avec différents corps de métiers. Dans ce domaine, je suis pour la souplesse et les solutions adaptées aux besoins. Il faut aussi donner plus d’autonomie aux établissements.

Enfin, la voie de l’apprentissage doit être revalorisée. Les parents et les enseignant·e·s devraient savoir que la voie duale offre de nombreuses possibilités bien avant la dernière année de scolarité.

RMK: Sur la LEO, nous avons la même position et l’essentiel a été dit. En ce qui concerne les enseignant·e·s, il faudra faire un bilan. Il y a une frustration importante autour de la mise en valeur de la fonction de maître de classe, dont certain·e·s ne voient parfois leurs élèves qu’une heure ou deux par semaine. C’est déstabilisant pour les élèves, qui ont besoin de cette figure d’autorité, comme pour les enseignant·e·s.

Concernant la 7e et la 8e année scolaire, le regroupement a permis de diminuer le stress pour les élèves, mais il y a toujours des calculs d’apothicaire pour accéder à certaines voies, ce qui demeure problématique.

S’agissant de la diversité des élèves, il ne faut pas oublier celles·ceux du milieu, entre les très bons et celles·ceux qui ont des difficultés. Il faut aussi veiller à leurs besoins.

Il faut aussi revaloriser le statut des doyens d’établissements, et se montrer attentif au harcèlement. C’est un phénomène qui se développe, notamment dans le monde virtuel et qui nécessite des mesures.

 

Quelle est votre vision de l’université? Doit-on poursuivre dans la direction d’une université assujettie aux besoins de l’économie ou plutôt tendre vers une université qui promeut un esprit critique?

FFC: Je suis attachée à une université indépendante. Par exemple, il est intolérable que l’industrie du tabac finance des chaires et des études. Concernant l’EPFL, c’est plus compliqué, du fait qu’elle dépend de la Confédération. Mais on peut influencer ce qui s’y passe. Désormais, au niveau universitaire, des pôles de spécialisation se mettent en place entre les différentes universités. Je pense que cela va dans une bonne direction, car cela représente des charges importantes au niveau du budget.

Pour le côté entrepreneuriat ou start-up, j’ai envie de dire tant mieux si les études suivies permettent de créer des entreprises, mais ce n’est pas le but de l’université que de faire des entrepreneuses·eurs, cela est celui d’écoles de management.

CA: Tout en reconnaissant les avancées conséquentes de ces dernières années, on devrait faire encore davantage pour l’université et l’ensemble des hautes écoles, notamment pour démocratiser l’accès aux études et développer le rôle critique de l’enseignement tertiaire face à un monde qui connaît des bouleversements majeurs. Nous devons résister aux tentatives d’emprise des entreprises visant à créer des chaires professorales qu’elles financent. Depuis la réforme de Bologne, les attaques contre une université critique ont redoublé. Pour prévenir un affaiblissement de l’autonomie des universités, il est indispensable de leur garantir des budgets publics suffisants, y compris pour les sciences humaines, afin de maintenir un équilibre entre les facultés.

Un autre grand souci est la précarisation du personnel des universités qui ont des statuts instables. Les professeur·e·s deviennent des chercheuses·eurs de fond et on valorise celles et ceux qui trouvent de l’argent. À cause de cette précarité, beaucoup de bon·ne·s chercheuses·eurs quittent l’université.

RMK: Je partage l’avis de mes préopinantes. Il faut faire attention de bien diversifier et de ne pas favoriser les entreprises au détriment de l’esprit critique. Toutefois il faut laisser une large autonomie à l’université.

 

Si vous accédez au Conseil d’État, comment comptez-vous favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes, notamment au niveau des carrières au sein de la fonction publique?

FFC: C’est un de mes thèmes chers. J’ai déposé il y a dix ans une motion demandant, en bref, l’égalité salariale au sein de l’État et des entreprises qui reçoivent des marchés publics. Cette augmentation des contrôles de l’égalité salariale est une avancée qui a pris du temps. J’ai aussi déposé une motion demandant un quota de femmes dans les Conseils d’administration, transformée en postulat. Avec le Grand Conseil actuel, on arrive à promouvoir les carrières féminines à compétences égales, mais c’est difficile d’obtenir des mesures plus contraignantes. Pour ma part, je crois aux quotas, et il en faut plus. D’ailleurs, des rapports commandés par la Confédération montrent que les entreprises veulent cette égalité et veulent promouvoir les carrières féminines, parce que cela sert aussi leurs intérêts.

Je suis aussi pour le principe «un enfant, une place de crèche», c’est une politique qui a été mise en place à Nyon.

CA: Dans le domaine crucial des salaires, il faut passer de l’incitation à l’obligation, notamment en introduisant l’obligation d’utiliser des logiciels (Logib) qui permettent de vérifier que l’égalité salariale soit vraiment appliquée et en exigeant des contrôles réguliers sur l’atteinte de cet objectif fondamental du respect du principe « à travail égal – salaire égal ».

Au niveau cantonal, la réforme DECFO-SYSREM a permis de revaloriser certains métiers, comme celui d’infirmière et de reconnaître les compétences réelles plutôt que les diplômes. C’est bien, mais cela ne va pas assez loin: les femmes ont notamment de la peine à valoriser leur parcours professionnel au moment de la retraite.

Au sujet de l’accueil extra-familial, le parti socialiste vaudois, sur la base d’une initiative parlementaire que j’ai déposée, a fait aboutir devant le peuple une initiative pour une école à journée continue, soit un excellent moyen de favoriser l’autonomie des femmes qui travaillent.

En résumé, il faut agir là où l’on a des leviers: les marchés publics, la grille salariale cantonale, un système de prévoyance professionnelle qui soit le plus similaire possible à ce qui se pratique pour l’AVS, avec le principe de primauté des prestations.

RMK: L’égalité salariale est une évidence, mais le chemin qui reste à parcourir est énorme. En plus de ce qui a été dit, je pense qu’il est indispensable de permettre aux hommes de s’impliquer et d’inverser la tendance. Ainsi, le PSS a lancé une initiative pour un congé paternité, que je soutiens totalement. Il faut aussi permettre aux hommes de travailler à temps partiel.

Je reste persuadée qu’il y a un travail de fond à effectuer pour faire bouger des mentalités rétrogrades. Dans ma commune d’Avenches par exemple, je remarque que ma position et ce que je dis ne sont pas interprétés de la même manière que si j’étais un homme. Quand j’ai pris la présidence du Grand Conseil, on m’a demandé comment je concilierais cette fonction avec mes enfants, alors qu’on ne pose pas cette question à mon successeur PLR qui est plus jeune que moi et qui a trois enfants.

Enfin, je suis pour la valorisation des métiers dits «féminins», ce qui peut passer par la pérennisation de la «Journée Oser les Métiers», une très bonne initiative.

 

La surpopulation carcérale est inquiétante dans le canton du Vaud. Cela signifie-t-il qu’il manque des places dans les prisons, ou que nos tribunaux enferment trop? L’indépendance du Ministère public ne doit-elle pas être remise en question?

RMK : C’est une question extrêmement complexe. Elle intéresse le Grand Conseil depuis longtemps. Nous avons essayé de surveiller les conditions de vie des détenu·e·s et le travail des gardien·ne·s avec la «commission des visiteurs de prison».

Un autre problème à traiter sont les structures intercommunales. Celles-ci se substituent à la gendarmerie sans être très efficientes puisqu’elles n’ont pas les mêmes droits. Il faudrait peut-être imposer une certaine uniformisation aux communes, ce qui leur enlèverait en même temps une part de leur autonomie.

S’agissant de la criminalité et de l’incarcération, la question est très compliquée. Qui suis-je pour juger si l’on enferme trop?

FFC: Vous posez le problème de la chaîne pénale: service pénitentiaire, ministère public et police, dont chaque élément influence les autres. S’agissant de la police, je suis d’accord que les structures intercommunales posent problème, car les municipalités ne maîtrisent pas ce qui se passe. Il faudra relancer le débat autour de la police unique, tout en sachant que la situation de Lausanne est particulière et devra être prise en compte.

Au niveau cantonal, je suis favorable à l’idée de rassembler dans un même département la justice, la police et la tutelle de l’administration pénitentiaire.

Il existe des cas dans le canton de personnes détenues pendant des mois avant d’être accusées, jugées, ce qui montre bien qu’il y a un problème et qu’il faut reprendre le contrôle de cette question. L’indépendance du ministère public pose une question difficile. Il me semble qu’il faudrait la résoudre par des conventions et en dialoguant avec les instances concernées pour faire changer des pratiques plutôt qu’en changeant des lois.

Au sujet de la politique pénitentiaire, il faut rendre hommage au travail effectué par Béatrice Métraux, qui a hérité d’un département massacré. Il y a encore à faire, notamment au sujet des conditions de travail des différents personnels.

CA : Pour revenir sur cette question de la surpopulation carcérale, j’aimerais tout de même rappeler que le PSV s’est battu pour que le rôle de réinsertion de la prison soit davantage reconnu par rapport à celui de la sanction, contrairement à l’approche aujourd’hui très répandue en Suisse et dans le canton de Vaud. L’une des priorités est notamment qu’on puisse séjourner dignement en prison. L’affaire Skander Vogt, où l’on a vu que des gens vivaient en internement prolongé et dans 9 m2, a montré au contraire que les conditions pouvaient parfois être inhumaines dans les prisons vaudoises.

Notre politique pénitentiaire est en retard par rapport à d’autres pays car le rôle de la prison est considéré de manière archaïque. Il faut trouver des alternatives à la détention quand c’est possible. La chaîne pénale doit permettre à tous les acteurs de jouer un vrai rôle. Je pense notamment qu’il faudrait valoriser les acteurs chargés de la réinsertion et avoir plus recours à des solutions alternatives à l’incarcération.

Sur ces sujets sensibles, j’ai bien conscience qu’il est important de tenir compte du sentiment de sécurité ou d’insécurité au sein de la population. Cependant, il ne faut pas tomber dans une logique du tout sécuritaire au détriment des libertés fondamentales.

 

Quel est votre avis sur la troisième réforme de l’imposition des entreprises (RIE III)? Pensez-vous que si le référendum réussit, la feuille de route fiscale vaudoise sera compromise?

CA: Je suis bien entendu opposée à la RIE III au niveau fédéral qui introduit de nombreuses nouvelles niches fiscales. À la base, une réforme était nécessaire car elle répondait à la suppression des statuts spéciaux des multinationales sur le plan européen, mais la droite suisse en a profité pour lui ajouter de nouvelles niches fiscales. Outre tous les cadeaux fiscaux pour les actionnaires, on ne sait également pas, comme lors de la RIE II, combien va coûter cette réforme. Le Conseil fédéral annonce 2,7 milliards mais cela sera certainement plus.

Au plan cantonal et si la réforme est refusée, le Conseil fédéral reviendra très vite avec les aspects non contestés (dont la suppression des statuts spéciaux). Dans tous les cas, cela ne remettrait pas en cause la feuille de route.

FFC: La RIE III est une injustice qui se concrétiserait par beaucoup de milliards en moins pour les finances publiques, une baisse des prestations et des acquis. D’autre part les grandes entreprises en profiteraient beaucoup plus que les PME. Au niveau cantonal, la réforme a passé et ses effets sont déjà visibles avec l’augmentation des allocations familiales et du financement des crèches. Si la RIE III est refusée, cela demanderait un rééquilibrage au niveau fédéral, comme cela a été fait du côté vaudois.

RMK: Je suis d’accord avec ce qui a été dit avant. Au niveau vaudois, le compromis a été très difficile, mais les acquis ont été maintenus.

Le canton de Vaud peut-il continuer à fonder sa politique fiscale sur le fait d’attirer des entreprises étrangères en offrant des taux d’imposition attractifs, ce qui peut s’apparenter à de la prédation fiscale?

FFC: Clairement non, on ne peut pas continuer à fonder notre politique sur la prédation fiscale. Le Conseil d’État de gauche a d’ailleurs commencé à mettre un terme à ces pratiques.

CA: Il y a toujours eu une politique de concurrence fiscale entre les cantons qui s’est partiellement basée sur des logiques de dumping. Cette politique a vu son âge d’or il y a une dizaine d’années sous la direction de Pascal Broulis. Elle touche aujourd’hui à sa fin, notamment à cause des pressions de l’OCDE et de la Confédération. Le Contrôle fédéral des finances demande des réponses au canton de Vaud sur sa politique d’exonérations fiscales. C’est un système qui a vécu, et il va falloir trouver d’autres leviers fiscaux. Bien entendu, on peut porter un jugement moral sur la manière dont ces contribuables sont attirés, mais il faut aussi admettre que les autres cantons pratiquent le même type de politique sans prévoir des contre-prestations sociales, contrairement au canton de Vaud.

FFC: Dans ma région, dont une partie était dans le champ d’application de l’arrêté Bonny, l’Etat a  attiré de nombreuses entreprises multinationales. Elles sont venues, et leur arrivée a entraîné une déstabilisation du territoire, des déséquilibres importants dans le tissu socio-économique. Il faut lutter contre ces phénomènes en permettant un développement équilibré du canton, ce qui est aussi une des missions de l’aménagement du territoire.

CA: C’est un point de désaccord avec la droite, qui conteste que le canton de Vaud risque de se désindustrialiser. Pour ma part, je suis convaincue que les risques sont manifestes.

 

Si la RIE III fédérale est refusée, faudra-t-il remettre sur le métier la question du taux d’imposition des entreprises dans le canton de Vaud?

RMK: Non, il ne faut pas toucher au compromis qui a été négocié avec la droite.

FFC: Idéalement, oui, mais cela ne semble pas faisable politiquement.

CA: Par ailleurs, le compromis vaudois a permis de bloquer le taux d’imposition des personnes physiques et il ne faut pas y toucher. Toutefois, si la RIE III est largement refusée, notamment dans le canton de Vaud, c’est une question qui pourrait se poser.

 

Comment concevez-vous les relations d’un·e conseiller·ère d’État socialiste avec le parti? Et avec les syndicats?

CA: Un·e conseiller·ère d’État socialiste a pour mission de défendre les valeurs du parti socialiste. Pour y parvenir, la préservation d’un lien de qualité avec notre parti et ses militants est indispensable. Il s’agit par ce biais de discuter  des résultats concrets obtenus, de rendre des comptes au parti sur nos actions, mais également d’expliquer la position gouvernementale et les contraintes qui peuvent parfois se poser sur une conseillère d’Etat.

Avec les syndicats – je suis membre du SSP et d’UNIA – il est essentiel de cultiver des relations saines et constructives dans le cadre d’un dialogue paritaire. Les syndicats nous permettent de traduire en mesures politiques les problèmes concrets du monde du travail.

RMK: Il est important pour un·e conseiller·ère d’État de maintenir le lien avec le parti et les camarades et rester en bonnes relations. Les syndicats sont des partenaires, mais peuvent parfois être des adversaires, d’où l’importance de trouver un consensus. Après il ne faut pas oublier qu’au Conseil d’État, vous êtes sept autour de la table à décider.

FFC: Être conseiller·ère d’État, c’est un acte fort, vous avez les clefs de la maison socialiste et le lien avec le parti est constant. Je le vois à la municipalité de Nyon avec un groupe socialiste important au Conseil communal et le lien fonctionne dans les deux sens. Au gouvernement on doit bien expliquer pour faire comprendre le sens de notre action ; mais aussi entendre les informations et critiques venant du terrain. Le lien avec les sections, les député·e·s et le parti est fondamental. Avec les syndicats, c’est la même chose ; il est essentiel de travailler en amont, comme par exemple Nuria Gorrite l’a fait pour les marchés publics.

 

D’après vous, le Grand Conseil est un contre-pouvoir ou une courroie de transmission ?

CA: Au niveau constitutionnel, il est toujours possible au Conseil d’Etat d’être minorisé et les pouvoirs sont séparés. Mais le Grand Conseil n’a pas de pouvoir de destitution. De manière générale, il faut viser un meilleur dialogue entre institutions. Ainsi lors de la dernière législature, j’ai trouvé les attaques contre l’institution judicaire très regrettables.

FFC: A Nyon, le groupe socialiste n’est pas toujours aligné sur la Municipalité, et c’est tant mieux :  le législatif doit rester créatif .

RMK: Quand j’étais présidente du Grand Conseil, j’ai bien pu observer les rapports de force entre le Conseil d’Etat et le Grand Conseil et les jeux de ping-pong entre les deux.

 

Et pour terminer, qu’est-ce que le socialisme pour vous? Partagez-vous la volonté du PS Suisse de repositionner son discours à gauche, notamment en promouvant la démocratie économique?

CA: C’est fondamental. Robert Grimm disait qu’il n’y a pas de démocratie sans socialisme, et pas de socialisme sans démocratie. Pour moi, le socialisme est la conciliation de la liberté et de la solidarité. La démocratie économique, c’est demander la redistribution des richesses et des fruits de la production, organisée de manière démocratique. C’est un élément essentiel, et sur cette base, on peut dérouler notre programme. Il faut donc complètement lier le socialisme et la démocratie pour montrer qu’il s’agit d’une réelle alternative aux politiques de la droite populiste. Cette reconquête est indispensable dans de nombreux pays d’Europe, où les socio-démocrates ont abandonné l’idée de mener une vraie politique de gauche. Il faut rappeler ce lien entre démocratie et socialisme, pour lequel les générations de socialistes qui nous ont précédées se sont battues et parfois même sacrifiées. Je pense par exemple à Salvador Allende, qui a payé de sa vie son combat pour la démocratie et le socialisme. Je pense aussi à ce qui se passe au sein du Labour en Grande-Bretagne. Jeremy Corbyn propose d’en revenir aux fondamentaux, avec un discours de gauche très clair qui tranche avec des années de social-libéralisme. Au sein du PSS aussi, il y a lieu de porter cette revendication forte pour défendre la ligne socialiste traditionnelle à l’interne.

FFC: Les valeurs de base du socialisme sont l’égalité, la solidarité, la justice, le rôle de l’État, et je rajouterais la durabilité. On observe un changement très fort du fonctionnement de notre économie et de notre société en général. Les emplois sont de plus en plus précaires et les gens les gardent de moins en moins longtemps. Je pense donc qu’il est juste que le PSS fasse son programme sur cette thématique, et il faut attacher l’économie aux gens et à leurs problèmes réels. Par contre, le programme du PSS ne contient pas de passage sur la digitalisation de l’économie. Cela implique de re-réflechir aux mesures proposées, car on entre un peu dans une terra incognita. De mon côté, j’aime bien les initiatives qu’a lancées la jeunesse socialiste et qui permettent de faire avancer le débat, notamment sur les écarts salariaux ou la taxation du capital, parfois plus que ne le fait un programme du PSS.

RMK: Si j’ai choisi ce parti, c’est parce que je m’identifie à ses valeurs, qui sont l’égalité des chances, éviter la discrimination, la tolérance. Je suis très inquiète par les dérives actuelles et le fait que des gens qui, lorsque l’on discute avec eux, devraient voter à gauche, se tournent vers les extrêmes dès que l’on aborde des sujets comme l’immigration. Il y a vraiment un basculement et une haine qui s’exprime sur ces thèmes. En tant que socialiste, je veux faire entendre les valeurs que l’on défend et que les gens que l’on défend puissent s’identifier à notre parti.

Propos recueillis par Cora Antonioli, Antoine Chollet, Mathieu Gasparini, Arnaud Thièry le 17 décembre 2016

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