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Livres : Avant-hier

Depuis dix ans, une petite équipe facétieuse baptisée «comité invisible» a pondu quelques volumes dont les ventes ont généralement été inversement proportionnelles à leur intérêt. Après L’insurrection qui vient en 2007 (un livre auquel le Ministère de l’Intérieur de l’époque avait donné une très injuste publicité), puis À nos amis en 2014, elle a récidivé cette année en publiant son troisième opus: Maintenant.

Autoproclamés champions toutes catégories de la radicalité, à la fois théorique et pratique, nos invisibles commissaires tirent sur à peu près tout ce qui bouge dans la politique réelle, adoptant une posture esthétisante sur les événements qui, pour n’importe quel·le militant·e abordant l’action politique avec un minimum de sérieux et de sens des responsabilités, se révèle rapidement insupportable.

Alternant entre les références pédantes (d’ailleurs souvent implicites) mélangeant des auteurs classiques et les quelques rares figures qui semblent recueillir l’assentiment du groupe, parmi lesquelles les philosophes Gilles Deleuze et Jean-François Lyotard, et des envolées littéraires privées de toute rigueur, quoique plaisantes à lire, le dernier opus du «comité invisible» réactive à l’identique le cadre d’analyse que ce dernier nous inflige depuis maintenant une décennie. Celui-ci est assez simple, et pour tout dire peu original: la situation est catastrophique, et de quelques marges commence déjà à surgir la révolution. Dans Maintenant par exemple, on les voit totalement fascinés par celles et ceux qui s’étaient nommés le «cortège de tête» lors des manifestations contre le Loi travail en France au printemps 2016. Par leur contestation des vieilles manières de faire de la politique – la manifestation, l’engagement syndical, les négociations, l’utilisation de relais dans les partis politiques, etc. –, ce «cortège de tête» aurait alors été la pointe la plus avancée du retrait généralisé des gens de la vie politique traditionnelle. Que celui-ci ne soit parvenu à rien ne semble pas les émouvoir, en revanche.

Sorti juste avant le premier tour de l’élection présidentielle en France, Maintenant nous somme de sortir des institutions, et prétend même que cette sortie s’observe déjà de plus en plus fréquemment. Nos commissaires invisibles sont persuadés que la société ne tient plus qu’à un fil, et qu’elle peut s’effondrer à tout instant. L’imminence de la catastrophe est leur marque de fabrique analytique, et elle vaut exactement ce que cette idée a toujours valu, c’est-à-dire pas grand chose. Elle donne raison à tous les conservatismes en confirmant leur peur panique du délitement de la société, et elle offre une analyse de la situation présente complètement faussée en faisant croire aux crédules que le grand soir est non seulement à portée de main, mais qu’il va advenir très prochainement. Le «comité invisible», c’est le millénarisme chic de ce début de XXIe siècle, l’eschatologie en chambre, sans engagement ni risque. On prophétise la fin du capitalisme, mais sans oublier de collecter ses droits d’auteur à la fin du semestre…

Enfin, on ne peut manquer d’être frappé par l’indécrottable provincialisme de ces révolutionnaires de carnaval, pour qui seule la France semble exister, ou du moins que seule la réalité française fait penser. Exit les luttes très traditionnelles des syndicats dans les pays du Sud, les campagnes électorales ou référendaires en Turquie ou en Hongrie, l’opposition politique en Russie, les combats contre les multinationales du Nord en Amérique latine. La France, et encore, une toute petite partie de ce qui s’y passe, voilà le seul monde du «comité invisible». Cela explique peut-être, si l’on y songe bien, pourquoi sa pensée est aussi étriquée.

Antoine Chollet

 

À éviter soigneusement: Comité invisible, Maintenant, Paris, La Fabrique, 2017.

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