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Le gouvernement hongrois fait tout pour empêcher l’alternance

Balász Berkovits •

 

Le gouvernement de la Hongrie, composé par le parti omnipotent Fidesz, ne cesse de cumuler des mesures autoritaires dans tous les domaines. Les dernières en date (pour ne mentionner que les plus importantes), sont la « nationalisation » des écoles publiques et la modification de la loi sur la procédure électorale. Il est aussi à noter que le gouvernement mène des opérations de propagande digne d’un régime stalinien, et que la liberté de presse et d’expression n’existe quasiment que sur Internet. Avant de passer en revue les mesures concrètes, un scandale d’envergure internationale mérite d’être mentionné, car il décrit bien la nature de ce pouvoir. C’est le scandale du tueur azéri que la Hongrie a extradé vers l’Azerbaïdjan. Celui-ci avait tué un camarade arménien pour des motifs racistes il y a quelques années dans le dortoir de l’École militaire de Budapest (où ils avaient participé tous les deux à une formation militaire dans le cadre de l’OTAN). Après avoir servi quelques années en prison, le gouvernement hongrois, sur demande du gouvernement azéri, l’a fait transférer en Azerbaïdjan sans avoir fixé des garanties concernant la continuation de sa détention (il paraît même qu’il a été vendu contre des investissements azéris, ou bien simplement pour de l’argent…). Or le tueur a été gracié par le président azéri le jour même de son arrivée dans son pays. Il a été reçu dans le cadre d’une célébration officielle, promu officier de haut grade, et il a eu droit à des compensations très importantes. L’Arménie a tout de suite suspendu ses relations diplomatiques avec Budapest, dont le geste a également causé une tension frontalière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. En ce qui concerne la politique internationale «symbolique», la diplomatie hongroise (sur commande du premier ministre) n’hésite pas un instant à conclure des affaires immorales et en fin de compte très nuisibles pour les intérêts du pays.

Pour sa politique nationale, en ce moment il s’agit de « nationaliser » les écoles, ce qui vient de commencer. Dans un pays où l’école privée n’existe quasiment pas, cela veut dire simplement la création d’une bureaucratie gigantesque régulée directement par l’État central, et la dépossession des communautés locales du droit de gestion de leurs écoles. Résultat: les directions d’établissement seront nommées, plus précisément octroyées par le gouvernement (en fonction, bien entendu, de leur fidélité au parti), ce qui crée des tensions formidables au sein des établissements. Certain·e·s professeur·e·s d’école sont renvoyés également pour des «raisons politiques» (ce qui signifie, la plupart du temps, être le cousin ou la sœur d’un·e candidat·e de l’opposition aux élections locales…). Les manuels scolaires seront également prescrits par le gouvernement, perspective effrayante vu que l’histoire ainsi que l’histoire de la littérature sont en train d’être réécrites en fonction de l’hagiographie et des références culturelles de la droite dure. Le seul espoir qui nous reste est qu’actuellement, il n’y a pas de moyens financiers pour mener à bien cette opération de «nationalisation» d’envergure tant souhaitée par le premier ministre.

Les moyens financiers manqueront encore pendant bien longtemps car l’économie est en faillite, les investisseurs fuient le pays à cause des incertitudes politiques et l’imprévisibilité des régulations économiques toujours changeantes (et non pas à cause d’une législation sociale forte, bien au contraire, la protection des salarié·e·s n’existe plus du tout en Hongrie). Après les slogans de la première manifestation pro-gouvernementale et anti-européenne (organisée directement par le gouvernement) – «nous ne serons pas une colonie» – le gouvernement a plus récemment entamé une campagne contre le FMI, avec lequel il était censé passer un accord pour pouvoir financer les dettes du pays. La campagne a été lancée dans les pages publicitaires des grands quotidiens pour préparer la faillite des négociations (qui, de fait, n’ont jamais vraiment eu lieu): «Il faut dire non à la baisse des retraites, des allocations familiales, du salaire minimal revendiqués par le FMI!». Le FMI n’a rien souhaité de tel, ce que même le gouvernement a dû reconnaître ultérieurement. Le niveau des salaires et des retraites est en revanche en recul. Entretemps et sous couvert de lutte contre les multinationales enveloppée dans un discours fortement nationaliste, les concessions d’État et les terres, des domaines gigantesques, sont distribuées à des fidèles, à des ami·e·s ainsi qu’aux membres de la famille du premier ministre. En fait, l’État hongrois est d’ores et déjà colonisé par une oligarchie politico-financière capitaliste, qui a l’air de prendre l’allure de ses pendants russe et des pays de l’ex-bloc soviétique (relativement à la taille du pays, bien sûr).

C’est sur fond de ces événements que la nouvelle loi sur la procédure électorale, qui prévoit l’enregistrement obligatoire des électeurs avant le scrutin, vient d’être adoptée. Dans un pays, où l’administration centrale connaît le nom et l’adresse de chacun·e, cette loi vise donc simplement à restreindre le droit de vote, en excluant les personnes les plus faibles et les plus démunies. Fidèle à sa méthode habituelle, le Fidesz a même placé l’obligation de l’enregistrement dans la nouvelle constitution, écrite par lui-même et pour lui-même, et pourtant modifiée à chaque session parlementaire pour éviter l’éventuel jugement d’inconstitutionnalité prononcé par la Cour constitutionnelle (et pour que cela ne soit pas modifiable par un prochain gouvernement qui n’aura pas la majorité suffisante pour le faire). Ainsi, le système n’est plus même formellement démocratique: les grands médias, tous au service du pouvoir, les comités d’élection nommés par le gouvernement, et surtout la restriction pratique du droit de vote rendent la tâche extrêmement difficile pour l’opposition. Pourtant, si le Fidesz est reconduit lors du scrutin de 2014, sa légitimité sera, bien entendu, vigoureusement contestée.

Cette article est paru dans une version raccourcie dans Pages de gauche n° 117 (décembre 2012).

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