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La médaille de la honte

Le 23 février, le Grand Conseil de Genève a autorisé l’un de ses députés, le démocrate-chrétien Guy Mettan, à recevoir la médaille de l’Ordre de l’Amitié qui lui a été décernée l’an dernier par un décret du président russe, Vladimir Poutine. Cette dérogation à la règle a été acquise à une voix près, celle du président de séance, également membre du PDC.

La règle en Suisse veut qu’aucun élu dans les organes législatifs ne soit  autorisé à recevoir une distinction d’un État étranger – sauf dérogation. Elle existe pour protéger l’intégrité politique de nos parlements, fondée sur la tradition républicaine et sur  l’indépendance et la neutralité du pays.

Dans une lettre adressée au Grand Conseil, Guy Mettan faisait état de ses mérites qui, selon lui, devaient l’autoriser à recevoir cette distinction, notamment la promotion des échanges culturels et économiques entre la Suisse et la Russie. Il affirmait en outre n’avoir jamais entrepris aucune action politique, ni même avoir exercé  la moindre action de lobbyisme, en faveur de la Russie. Il omettait ainsi de mentionner ses chroniques dans Le Courrier  où il a systématiquement défendu tous les aspects de la politique poutinienne. D’ailleurs, s’il s’agissait vraiment de la promotion de la culture russe, d’autres personnes à Genève ont bien plus de mérites que lui sans être médaillées de l’Ordre de l’Amitié ni même le réclamer.

Il est évident que l’intention du gouvernement russe n’est pas de récompenser Mettan pour son soutien à la culture russe, très particulier en l’occurrence, mais pour son soutien à la politique du gouvernement. Si le Grand Conseil avait empêché Mettan d’accepter cette médaille, il n’aurait pas fait preuve de «russophobie»  mais il aurait tout au contraire manifesté sa solidarité avec le peuple russe et l’opposition démocratique en son sein. Il aurait manifesté son refus que l’un de ses députés soit honoré par le gouvernement d’un pays où les opposant·e·s sont impunément assassinés, emprisonnés et brimés, qui est engagé dans une guerre d’agression contre un pays voisin dont il a occupé et annexé une partie de son territoire au mépris du droit international, et qui cherche à subvertir le processus démocratique dans plusieurs pays d’Europe et aux États-Unis.

En laissant Mettan accepter l’Ordre russe, le Grand Conseil de Genève a contribué à banaliser et à légitimer la politique du gouvernement russe. Il a fait semblant de croire qu’il s’agissait d’un gouvernement comme un autre. La grande majorité de la gauche (PS, Ensemble à Gauche et Les Verts), malgré quatre lamentables abstentions socialistes et deux égarées d’EàG, s’est opposée à la dérogation, parce qu’elle en a compris l’enjeu démocratique profond.

Quand Hambourg était un Etat indépendant, avant l’unification de l’Allemagne, il  interdisait à ses élus d’accepter des distinctions étrangères. Aucune dérogation n’était admise. C’était le Ordensverbot, introduit au XIIIe siècle. La constitution hambourgeoise disait: «il n’y a aucun maître au-dessus de toi, ni aucun serf sous toi». Et encore: «Il ne saurait y avoir de plus grand honneur que d’être un citoyen de Hambourg». C’était l’époque où la bourgeoisie avait encore un sens de sa dignité.

par Dan Gallin

 

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