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France: le cauchemar continue

La rédaction •

Le résultat de l’élection présidentielle française est d’abord et avant toute chose le signe de la faillite d’un homme – François Hollande –, et sans doute aussi d’un parti – le Parti socialiste –, du moins de ses instances dirigeantes. La gifle monumentale du premier tour (6,36% des voix pour Benoît Hamon), et les prévisions sondagières pour le moment catastrophiques pour les législatives en sont un premier signe. La présence du FN au second tour, une présence qui plus est attendue comme un destin inéluctable (contrairement à la surprise de 2002, où cette présence avait été permise par une situation électorale inédite), en est le second signe. Hollande, avec sa politique désastreuse, peut être tenu pour personnellement responsable de l’ascension de Marine Le Pen à l’inquiétant niveau qu’elle a atteint dimanche (plus de 10 millions de voix au second tour, et un report – tout à fait inédit – de près de 3 millions de voix entre les deux tours, dont la moitié seulement a pu venir de l’électorat de Nicolas Dupont-Aignan, seul candidat qui s’est publiquement rallié à Le Pen). Enfin, la victoire de l’ectoplasme Macron en est le dernier signe, le plus grave et le plus inquiétant pour l’avenir. Ici aussi, malgré les simagrées du clan Hollande et du président lui-même, tout le monde a compris assez tôt que Macron était en réalité son candidat et que la passation de pouvoir le 14 mai se fera entre amis, comme l’héritage qu’un bon fils va chercher chez son notaire de province. Ce dernier élément est capital, puisqu’il signifie que Hollande a préféré sacrifier le Parti socialiste, son propre parti, celui qui l’a amené au pouvoir, pour installer son poulain à l’Élysée. Dans cette élection présidentielle, il a enfin, avec la complicité d’une partie de l’appareil du Parti socialiste, sciemment flingué la campagne de Benoît Hamon, prouvant par la même occasion que l’instinct de survie institutionnel n’est pas très développé rue de Solférino.

Qu’on ne se méprenne pas, toute personne de gauche étant allée voter au premier tour (pour Benoît Hamon, pour Jean-Luc Mélenchon, voire pour Philippe Poutou ou Nathalie Arthaud) devait voter pour Macron, et la plupart l’ont fait, bien sûr. La question ne se pose pas en terme d’adhésion au « programme » du candidat Macron, qui n’en avait pas et dont les propositions sont de toute manière très éloignées des valeurs de gauche sur des points absolument fondamentaux. Quand un·e candidat·e d’extrême droite est opposé à un·e candidat·e venant de n’importe quelle autre formation politique, y compris la droite libérale ou conservatrice, le vote se fait contre l’extrême droite. Ce qui témoigne toutefois du degré de décérébration politique d’une partie du champ politique français (et sans doute aussi d’une partie de son corps civique, si l’on en juge par les débats de l’entre-deux-tours), c’est l’idée que l’on ne devrait voter que pour des personnes dont le programme nous agrée. Il faut vraiment ne jamais avoir participé à une seule élection pour être animé d’une idée aussi invraisemblable. Les programmes électoraux ne sont pas rédigés pour être respectés, mais pour servir d’attrape-nigauds, et l’on est quand même obligé de regarder avec un peu de commisération les électrices et électeurs de François Hollande qui, en 2012, avaient sincèrement cru que « son ennemi » était la finance, ou qu’il allait imposer les hauts revenus à 75%. Donc, pas plus que Hollande en 2012, Royal en 2007, Chirac en 2002, ou même Mitterrand en 1988, le vote de gauche pour Macron ne porte une quelconque adhésion à ses idées réactionnaires (au sens précis du terme : revenir à un état antérieur de la société, fût-ce en la transformant radicalement), qui dessinent l’image d’une société sans solidarité, sans idéal d’égalité, sans liberté collective, dans laquelle n’existent que « les eaux glacées du calcul égoïste », l’ambition effrénée, l’« enrichissez-vous » de Guizot et autres vieilleries qui auraient dû rester au magasin des antiquités mais qu’il a ressorties, les faisant paraître – suprême ironie – pour des innovations !

Si le cauchemar continue, c’est que l’on aurait pu s’attendre à ce que les législatives du mois de juin se passent, pour la première fois depuis bien longtemps (sans doute depuis la dissolution de 1997), normalement, avec l’affrontement de partis politiques représentant chacun des options politiques plus ou moins identifiées et qui devront ensuite constituer une coalition gouvernementale. Or le vieux réflexe monarchiste de la politique française, aggravé sous la Ve République, puis entré en phase terminale depuis le passage au quinquennat (avec la déplorable inversion du calendrier entre les législatives et la présidentielle décidée par un Jospin un peu pressé en 2002), semble renaître. L’incroyable serait que l’agrégat sans forme que constitue pour le moment « En marche » puisse gagner une majorité à l’Assemblée nationale. Il faut souhaiter que ce qui reste d’instinct de survie des différentes familles politiques se réveille et qu’ils se battent pour avoir une majorité, fût-ce relative, à l’Assemblée, et pour constituer ensuite un gouvernement qui sera peut-être de coalition. On a dit plus haut ce qu’il fallait penser de cet instinct au Parti socialiste cependant, et quant aux « Républicains », ils se sont tout de même accrochés au-delà de toute raison à un canard boiteux lors de cette élection présidentielle, ce qui leur a fait perdre un scrutin que tout le monde déclarait imperdable il y a encore quelques mois, et il l’aurait en effet été sans la personnalité détestable du candidat sorti des primaires du parti qui a préféré jouer son va-tout plutôt que de se retirer et d’épargner à sa famille politique une défaite humiliante. En clair, il est temps que la France retrouve un système politique à peu près conventionnel après quinze ans (sinon cinquante) de délire égocrate.

Dès aujourd’hui, la priorité pour la gauche française, dont certaines des organisations sortent laminées de ce cycle électoral (en premier lieu le Parti socialiste, mais les syndicats ne s’en tirent guère mieux, et ladite « France insoumise » ne semble pas pour le moment être une organisation très solide, mais ses résultats aux législatives qui viennent nous en donneront une mesure plus fiable que le vote du premier tour de la présidentielle), est de s’opposer aussi fermement que possible aux politiques que Macron tentera d’imposer. Il y aura sans doute quelques exceptions sur des réformes dites « sociétales » (comprenez : sans grande importance), mais elles ne seront pas très nombreuses. Le premier enjeu est évidemment de réduire au minimum les élu·e·s de son « mouvement » à l’Assemblée. Qu’un candidat qui rassemble péniblement 24% des voix au premier tour, dont une partie relevait déjà du « vote utile » destiné à faire battre le Front national au second, puisse se prévaloir d’une majorité « naturelle » pour mettre en œuvre son programme relève du grand guignol. Pour que Macron n’applique pas ledit « programme » (dont on sait ce qu’il faut penser, sur son inexistence déjà, sur sa dimension réactionnaire pour les bribes qui en sont sorties ou pour les anticipations que l’on peut en faire à partir de son passage au Ministère de l’économie et des finances ensuite), il faut commencer par ne pas lui donner de majorité parlementaire. Douze des quelque vingt millions de Français·es ayant voté pour lui au second tour ne l’ont pas fait au premier, et sont donc en désaccord assez profond avec lui sur l’un ou l’autre point, sans même parler évidemment des trois millions de personnes ayant voté blanc (cinq fois plus qu’au premier tour), du million de vote nul, et du million et demi de citoyen·ne·s supplémentaires s’étant abstenus au second tour. On peut même penser qu’une partie de son électorat du premier tour partage ces réserves, comme nous venons de le dire. Nous devons maintenant espérer que les un·e·s et les autres retrouvent leurs esprits et une capacité de jugement politique minimale, renvoient « En marche » là d’où il n’aurait jamais dû sortir (quelque chose entre la téléréalité et l’école maternelle de la politique, ce qui le fait étrangement ressembler à son alter ego d’outre-Atlantique Justin Trudeau), et rétablissent une politique conflictualisée et des institutions garantes de contre-pouvoirs en France. On ne peut être « ni de droite ni de gauche » (c’est la définition du fascisme, et elle reste actuelle), on ne peut davantage être « de droite et de gauche » (c’est la définition du crétinisme, malheureusement en recrudescence depuis peu).

Et pour finir, n’oublions pas que les élections ne sont ni le point de départ, ni la clef de voûte, ni le seul lieu de la politique. Elles n’en sont, dans le meilleur des cas, que l’aboutissement, par la cristallisation du rapport de force économique, social et politique qu’elle permettent. Comme n’importe quel·le militant·e le sait, la politique se fait d’abord ailleurs, et il va falloir se souvenir très souvent de ce principe ces cinq prochaines années en France. D’un point de vue de gauche, Emmanuel Macron ne doit pas pouvoir mettre en œuvre son programme, il faudra l’en empêcher par les moyens traditionnels, et peut-être aussi par d’autres qui le sont moins. Après les mois d’atonie politique provoquée par l’approche de cette échéance électorale en France, l’action politique y est enfin relancée, et on ne peut que s’en réjouir. Comme le disait Machiavel, ce sont les tumultes qui garantissent la liberté. Le conflit entre le capital et le travail, entre la bourgeoisie et le salariat, entre les riches et les pauvres, entre les dominant·e·s et les dominé·e·s n’est pas archaïque ou insensé : il est la politique. On aurait tort de l’oublier.

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