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Dossier santé: Terre brûlée à la Chaux-de-Fonds

Extrait du N° 146 – Juillet-Août 2015

Depuis plusieurs années l’hôpital de La Chaux-de-Fonds est opiniâtrement démantelé, malgré les décisions répétées visant à assurer sa pérennité, et notamment un vote populaire en novembre 2013 (cf. Pages de gauche n° 143). Pour mieux comprendre cette attaque, entretien avec Jean-Emmanuel Lalive, médecin-chef du service d’urologie de l’Hôpital neuchâtelois (HNe) et membre  des Verts.

Comment interpréter cette volonté de centralisation des autorités?

Il est sans doute possible d’imaginer une taille idéale pour un hôpital, qui ne doit être ni trop gros ni trop petit. Les gros hôpitaux sont moins efficients, et les petits peuvent être en dessous d’une certaine masse critique. Mais la zone de population représentée par La Chaux-de-Fonds, Le Locle, les Franches-Montagnes (JU), voire la France voisine, est suffisamment large pour disposer d’un hôpital de soins aigus.

La présidente du Conseil d’administration de HNe (Pauline de vos Bolay) se comporte comme la cheffe d’une secte, et aucun argument parfaitement rationnel ne peut lui enlever ses croyances, comme par exemple que la centralisation permet forcément de faire des économies. Or le «rapport Chevrolet», rédigé par un expert reconnu mondialement, montre précisément le contraire. La centralisation des soins intensifs à Neuchâtel augmentera les coûts de plusieurs centaines de milliers de francs par année, car cela demandera davantage de personnel, et plus spécialisé donc mieux payé.

Actuellement, la politique de HNe et du Conseil d’État conduit donc à sacrifier l’hôpital de La Chaux-de-Fonds sur l’autel d’une croyance erronée: l’hôpital Pourtalès (à Neuchâtel) peut en l’état faire office de site unique et permettre des économies.

Que représente un service public de la santé dans le domaine hospitalier?

Cela signifie que les prestations de base doivent être assurées pour toute la population, 24h/24 et tous les jours de l’année. Par soins de base, j’entends la médecine et la chirurgie. Si l’on peut envisager une centralisation relative de la pédiatrie par exemple, c’est déjà beaucoup moins évident pour la gynécologie. Surtout, il est impossible de n’avoir qu’une moitié de service public, ce que HNe cherche à mettre en place actuellement.

Aujourd’hui, ce service public a disparu dans la région autour de La Chaux-de-Fonds, alors que le bassin de population est largement suffisant pour en justifier l’existence. Le meilleur exemple en est l’hôpital de Saint-Imier, qui l’assure de manière tout à fait satisfaisante alors même que la population qu’il couvre est bien plus faible.

L’autre indice que ce service public est rentable, c’est le récent rachat de la clinique Montbrillant, à La Chaux-de-Fonds, par le groupe Genolier. L’objectif est que les prestations de service public soient à l’avenir assurées par des cliniques privées,

Comment expliquer cette évolution?

Ce qui est certain, c’est qu’elle n’a aucune raison médicale. On a prétendu que les blocs opératoires coûtaient trop cher, alors qu’en réalité, c’est la fermeture des blocs qui coûte plus cher, notamment parce qu’il faut transférer les personnes et que les durées de séjour augmentent.

Il y a clairement une volonté politique derrière cette centralisation. Celle de Laurent Kurth d’abord, dont l’ambition personnelle dépasse le seul canton de Neuchâtel et dont le programme politique plaît de toute manière davantage dans le bas du canton. Je note également que les lois ou décisions antérieures ne l’arrêtent pas, ce qui est inquiétant. Il y a ensuite le projet de Pauline de vos Bolay, technocrate pure et dure qui a déjà sinistré le paysage hospitalier jurassien dont elle a la charge depuis 2013.

Ce qui est stupide, c’est que certaines des réformes proposées seraient possibles, mais elles sont effectuées dans le mauvais sens. Aujourd’hui, on détruit d’abord l’hôpital de La Chaux-de-Fonds pour centraliser les services, alors même que l’hôpital de Pourtalès (à Neuchâtel) n’est pas assez grand pour accueillir les patient·e·s de tout le canton. Il est complètement saturé, et une partie du personnel travaille en permanence dans des «portacabines». C’est une politique de la terre brûlée, qui devrait permettre d’éviter tout débat démocratique et tout vote sur les options principales et sur le lieu d’un éventuel site unique.

L’objectif est d’imposer le site unique le plus vite possible, en prenant prétexte d’une urgence que l’on a soi-même créée.

Comment envisagez-vous l’avenir immédiat?

On observe de la résignation, du défaitisme, de la lassitude, et une démobilisation du personnel. Les gens sont prêts à partir, mais pas à se battre. Certain·e·s ont peur de se faire mettre dehors, les chirurgien·ne·s par exemple sont pieds et poings liés à l’hôpital, pour plusieurs raisons.

Dans l’immédiat, soit on réussira à camoufler les dégâts collatéraux, soit il y aura un mort ou un gros problème qui pourrait servir d’électrochoc. On en est déjà passé très près à plusieurs reprises, et l’on ne doit qu’à l’abnégation des personnels de La Chaux-de-Fonds qu’on l’ait évité.

À part la population des Montagnes, tout le monde semble résigné: le personnel comme les autorités politiques communales. Ces dernières nous enjoignent à faire grève, mais c’est très compliqué et je ne pense pas que le personnel y soit prêt. Je suis donc très pessimiste.

Propos recueillis par Antoine Chollet

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