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Bernie Sanders, un président socialiste à la Maison Blanche?

C’est il y a soixante ans que le Parti socialiste a participé à sa dernière campagne présidentielle aux États-Unis.

Dans ses grands jours, le parti pouvait gagner plus d’un million de voix, résultat qu’il a obtenu en 1912, 1920 et encore en 1932. Le meilleur résultat était le premier, lorsqu’Eugene V. Debs a obtenu pour son parti six pourcents des voix au niveau national. Mais moins d’un quart de siècle après que Norman Thomas a obtenu près de 900’000 voix au plus fort de la Grande Dépression, les socialistes n’ont plus obtenu, au niveau national, que 2’044 suffrages.

Son dernier candidat à la présidentielle, le successeur des légendaires Debs et Thomas, a été un candidat peu connu, Darlington Hoopes, en 1956. Depuis lors, même les plus fidèles au sein du parti ont convenu qu’il n’était plus faisable de financer une campagne présidentielle. Un an après la débâcle électorale des socialistes, le parti a été conforté dans sa décision lorsque la Ligne Socialiste Indépendante de Max Shachtman a rejoint ses rangs. Les partisans de Shachtman étaient opposés à la stratégie de se présenter en indépendants à la présidentielle et appelaient les socialistes à rejoindre le Parti démocrate. Il a fallu dix ans à Shachtman et ses camarades pour parvenir à leurs fins sous la conduite de leur leader charismatique Michael Harrington.

Tandis que les socialistes se débattaient avec des questions de stratégie électorale, un jeune homme adhérait à leur organisation de jeunesse à Chicago, la Ligue des Jeunes socialistes (Young People’s Socialist League, YPSL). Son nom était Bernie Sanders. Comme beaucoup d’autres de ses camarades, le jeune homme de Brooklyn était actif dans le mouvement pour la paix dans les associations étudiantes et dans le mouvement des droits civils par l’intermédiaire du Congrès pour l’égalité raciale. Avant de rejoindre l’YPSL, Sanders avait commencé à participer à des réunions politiques avec son grand frère, Larry, qui lui donna le goût de la politique.

Larry était actif chez les jeunes du Parti démocrate. C’est à l’YPSL que Bernie entendrait parler pour la première fois du socialisme démocratique. Un demi-siècle plus tard, il continue de se définir comme un socialiste démocratique.

Il défend un programme de réforme qui devrait plaire à la plupart des socialistes, se faisant notamment partisan de la scission des grandes banques, d’investir des centaines de milliards de dollars pour rebâtir les infrastructures du pays et créer de l’emploi, de faire des soins de santé un droit pour tou-te-s les citoyennes-ens, de l’accès gratuit à toutes les universités publiques, d’une réforme du financement des campagnes, d’un renforcement des droits des syndicats, et plus encore. Sa campagne pour la présidentielle lancée il y a quelques mois a galvanisé le système politique américain et fait naître l’espoir d’une renaissance d’un mouvement socialiste démocratique.

Qu’est ce qui a changé pour permettre à un socialiste démocratique d’émerger, semble-t-il de nulle part, et de devenir un concurrent sérieux pour la présidentielle? Et quelles sont ses chances de gagner l’investiture démocrate et la présidentielle en novembre? Je pense que trois choses se sont produites.

Premièrement, la crise économique qui frappe l’Amérique (et le monde) depuis 2008 a permis l’émergence – comme ça a été le cas dans beaucoup de pays – d’une pensée critique au sujet du capitalisme. Nous avons pu observer des gains importants pour des partis qui étaient considérés comme situés à l’extrême gauche du spectre politique dans plusieurs pays d’Europe. Si la création d’un nouveau grand parti de gauche comme Syriza n’est pas possible en Amérique, cela peut s’exprimer – et s’exprime – dans des mouvements sociaux comme Occupy, les syndicats et à l’aile gauche du Parti démocrate. Mais une crise économique ne peut pas, seule, créer les bases d’un renforcement de la gauche socialiste dans un pays comme les États-Unis. Il y a eu plusieurs crises économiques, avec des périodes de chômage de masse, depuis 1932, mais aucune n’a eu pour conséquence de permettre l’émergence d’un candidat ou mouvement explicitement socialiste. Le deuxième facteur est l’écoulement du temps depuis la fin de la Guerre froide. Il ne faut pas sous-estimer l’importance du stalinisme comme facteur d’affaiblissement et de sape de la gauche en Amérique pendant des décennies. Que ce soit en raison de la chasse et de la persécution des rouges durant le Maccarthysme (qui visait l’ensemble de la gauche, pas seulement les staliniens) ou de la tactique idiote et contreproductive des staliniens eux-mêmes, il était quasiment impossible de se dire ouvertement socialiste en Amérique aussi longtemps que l’Union soviétique existait. Mais avec la chute du Mur de Berlin en 1989, une génération d’Américains a grandi sans se souvenir personnellement de cette période, des gens pour qui le mot «socialiste» n’est plus nécessairement une insulte. Il y a aujourd’hui des gens qui votent pour Bernie Sanders et qui sont nés en 1998, près de dix ans après la chute du Mur. L’ensemble des votant-e-s âgé-e-s de moins de 40 ans sont venus à la politique après la défaite historique du communisme. Rien de ceci ne vaut pour Sanders, bien sûr. Âgé de 74 ans, c’est un vétéran de l’YPSL, venant d’une époque où les socialistes étaient réellement à la marge de la vie américaine et où le mot «socialiste» était réellement un gros mot. Mais ses partisan-e-s viennent en grande partie d’une génération totalement différente qui a grandi dans un monde totalement différent. La dernière chose qui a changé, c’est que Bernie Sanders, qui a fait toute sa carrière politique en indépendant et qui a toujours été opposé au dualisme Démocrate-Républicain, a choisi de participer à la primaire démocrate.

Certaines personnes au sein de la gauche américaine organisée, qui est petite, auraient préféré qu’il en aille autrement. Elles auraient préféré soutenir une campagne comme celle de Ralph Nader, qui ne soit pas liée à celle du Parti démocrate.

Nader lui-même s’inscrivait dans la tradition des nombreuses tentatives bien intentionnées, mais vite oubliées, de construire un troisième parti, de gauche, en Amérique. Elles incluent celles du militant pour la paix Dr. Benjamin Spock (Parti populaire) qui a obtenu moins de 80’000 voix, ou de l’écologiste Barry Commoner (Parti des citoyens) qui a obtenu 234’000 voix.

Sanders appréciait personnellement Nader, Spock et Commoner, et il a fait campagne pour les deux derniers. Mais il en a retenu une leçon importante: pour gagner une élection présidentielle en Amérique, il faut concourir sous la bannière démocrate. L’extraordinaire succès de sa campagne jusqu’à présent – quoi qu’il arrive ensuite – montre qu’il avait raison. Dans sa campagne, il revendique tout ce pour quoi Max Shachtman, Michael Harrington et leurs camarades se sont battus au sein de la gauche américaine depuis le milieu des années 1950 jusqu’à ce jour. Mais Sanders a-t-il réellement une chance?

J’écris ces lignes deux semaines avant le caucus de l’Iowa le 1er février 2016, le premier test électoral de la candidature de Sanders. Actuellement, les sondages montrent que l’Iowa sera très serré entre Sanders et Clinton. Pour le vote suivant, le 9 février dans le New Hampshire, les sondages donnent Sanders gagnant. Si l’Amérique se réveille le 10 février en apprenant que Bernie Sanders a remporté les primaires démocrates dans l’Iowa et le New Hampshire, ce sera un séisme politique. Soixante ans après la disparition des socialistes du devant de la scène politique américaine, ils feraient un retour triomphal. Un ancien membre de l’YPSL de Chicago, qui parle toujours du même socialisme démocratique dont il avait appris les bases dans le parti de Debs et Thomas, pourrait être en passe de devenir le quarante-quatrième Président des États-Unis.

Par Eric Lee, animateur de Labour Start

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